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prolifération et action part II : intérêts, identités et délires

Publié le 04 juillet 2011 par Deklo

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Il se trouve que mycorhize, puissance d’effectuations – en tant que prolifération – et dédifférenciation, ce sont des outils qui s’embranchent.


   Je suis tombé sur une étude d’Althusser non pas à propos de Marx mais à propos de la lecture de Marx qui m’a paru assez savoureuse. Je vais forcément perdre un certain nombre des fils que je voulais dérouler, c’est le risque à prendre les choses par tous les bouts, mais enfin... Toujours est-il qu’après une longue... disons... réflexion à propos de l’objet réel versus la connaissance, l’essentiel versus l’inessentiel très amusante mais assez inutile dans la mesure où, avant de se lancer dans ce détour, Althusser insistait sur sa conception marxiste de la connaissance comme production, ce qui aurait dû l’amener, à mon avis, à balayer d’un revers de la main toutes les questions qui dès lors ne se posaient plus mais par lesquelles il ne manque pourtant pas de passer, avec un certain talent, me faisant dire au passage que j’étais bien soulagé de tous ces problèmes qui posent ici réalité, là par exemple essence ou encore principe de plaisir ou autre, ça revient au même je dirais... avec mes histoires d’effectuations et de prolifération qui court-circuitent ce genre de questions-là, qui ne sont pas éloignées des histoires de production d’ailleurs, qui font peut-être un pas de plus, peu importe... Bref, le voici... lire, je suppose que ces lignes sur la lecture ont été faites pour être lues, par exemple au cours d’une conférence, je ne sais pas : « Marx considère la société actuelle (et toute autre forme de société passée) à la fois comme un résultat et comme une société. C’est la théorie du mécanisme de la transformation d’un mode de production en un autre, c’est-à-dire la théorie des formes de transition entre un mode de production et celui qui lui succède, qui doit poser et résoudre le problème du résultat, c’est-à-dire de la production historique de tel mode de production, de telle formation sociale. » (Louis Althusser, Lire Marx, TI, p. 80), ce à quoi il ajoute : « Mais la société actuelle n’est pas seulement un résultat, un produit : elle est ce résultat, ce produit particuliers, qui fonctionnent comme société à la différence d’autres résultats, d’autres produits, qui fonctionnent tout autrement. » Après, Althusser, tout absorbé qu’il est dans sa dénonciation de l’empirisme, n’en fait plus grand chose d’autre et limite ses considérations à la dite connaissance. Ca, c’est le problème des universitaires, de se condamner aux exercices de style, peu importe...


   Alors voilà, par exemple, je conteste ce dernier point. J’ai dit, j’insiste, qu’on n’atteint pas le seuil où on aurait d’un côté un individu et de l’autre, disons, une société ou autre. Pour toutes sortes de raisons. C’est-à-dire, ici, si on parle d’une société, vous n’atteignez pas le seuil où vous pouvez ne serait-ce que parler de résultat, tant les effectuations n’en finissent pas de courir. Par exemple parce que personne n’y trouve son compte ou que chacun y voit midi à sa porte. On a vu la dernière fois avec la thèse de Michel Troper, y compris les lois proliférer. On ne peut pas parler d’ensemble, d’abord parce qu’on ne peut pas le considérer, qu’il est voué à s’évanouir, mais encore parce que la moindre communauté, un bien quelconque, une intention précise, ne serait qu’une identité spéculaire hasardeuse, narcissique et approximative. Ce qui importe, c’est bien l’échec fondamental de la possibilité même d’une société. Et c’est parfaitement réjouissant.


  Il faudrait dire les choses grossièrement... Ce n’est pas seulement que les mécanismes coïncidentels pris à un moment T, au niveau synchronique, ne sont qu’affaire de compromis, c’est qu’ils ne sont que malentendus, échecs, hallucinations. Ce n’est pas seulement qu’une société échoue à respecter les règles qu’elle s’impose, c’est que personne ne se met d’accord sur ces dites règles, mécanismes, organes, etc. Que chacun y puise ce qu’il y a à puiser, intensifie ce qu’il y a à intensifier, sans qu’il ne s’agisse jamais ni des mêmes règles ni des mêmes mécanismes pour les uns ou pour les autres ; que d’aucuns croient aller à droite quand d’autre, se mettant au même pas et à la même cadence croient aller à gauche, etc...


  On peut prendre n’importe quel exemple. On peut prendre des points dans l’histoire des idées... Ce qui fait que les gauchistes furent patriotes pendant la Révolution ou la Commune, quand leurs ennemis se pressaient à l’étranger, ou que le même patriotisme passa aux mains des plus droitiers quand ils croyaient voir, sous Vichy, l’ennemi communiste à leurs portes ; ce qui fait que le libéralisme fut tantôt une question culturelle, servant les intérêts des hippies et tantôt affaire économique, servant ceux qu’on appelle les « puissants » ; ou ce qui fait encore que ce fut la droite la plus dure qui défendit un « retour à la terre » contre l’émancipation du peuple, quand l’idée devient aujourd’hui un levier contre la soumission au productivisme, etc... On le voit, la question n’est pas, ne peut pas être ce sur quoi on se met d’accord, qui n’en finit pas de proliférer, mais une histoire de rapports situationnels autour d’un malentendu fondamental qui fabrique une société de son propre échec. Il faut concevoir la démocratie comme l’échec et l’impossibilité à se mettre d’accord. Si Lacan aura dit quelque chose, c’est bien cela : la force de la démocratie qui tient à l’impossibilité de comprendre l’autre, même s’il ne savait pas qu’il le disait. La question de se mettre d’accord, c’est-à-dire de se mettre au pas de sens et au mot d’ordre, ne peut pas se poser en démocratie.


  C’est une disposition d’esprit, une habitude qui tient de l’ordre de l’évidence du conditionnement, qui veut que forcément les corps humains soient voués à se mettre d’accord, ceux-là même qui à la période féodale, n’auraient pas eu l’idée de construire, par exemple, de grandes routes, dont « la circulation, en un mot, ne se canalisait pas selon quelques grandes artères ; elle se répandait, capricieusement, en une multitude de petits vaisseaux », comme le souligne Marc Bloch (La Société Féodale, p. 104). Et c’est bien une foi aussi enthousiaste qu’impuissante qui aura déployé ses efforts pour tenter de désigner des accords, n’importe quelle identité/différence, et condamner les corps humains à la cruauté d’une telle entreprise.


  Quelques lignes plus loin, Marc Bloch précise : « selon l’angle où on la considère, la civilisation de l’Europe féodale paraît tantôt merveilleusement universaliste, tantôt particulariste à l’extrême », et c’est bien cet angle que nous attaquons ici, avec notre histoire de dédifférenciation, en disant que la question de l’individu, celle, la même forcément, de la société, ne se pose pas.


  Si l’on peut artificiellement dessiner des niveaux de lectures, ici l’individu, là la société, autre, etc... le tour de passe-passe reste vain, qui s’encombre d’identités qui ne renvoient jamais à autre chose qu’à d’autres pour échouer, de toutes façons, à les définir. La question sur laquelle on pourrait buter encore – la question de ce qui meurt est une affaire de niveaux aussi –, celle qui paraît insister plus encore que la mort donc, c’est celle des intérêts. On rassemble des corps par leurs intérêts ; on esquisse des entités/identités, des convergences, peu importe comment on les nomme. Il y aurait des corps, individuels, sociaux, autres... parce qu’il y aurait des intérêts à se partager. Ce serait assez coriace pour constituer un point d’achoppement dans le déploiement de notre recherche...


  Pour autant, la question de la prolifération des mots- choses n’est pas indifférente qui souligne cruellement l’échec à, ne serait-ce que, pointer des intérêts. Non pas seulement parce que l’idée même d’intérêts est rendue caduque par l’articulation arbitraire et rationaliste des marchés capitalistes d’identification/différenciation. Ca, c’est pour le charme de la chose. Non pas encore parce que les mots substituent leur prolifération aux choses, court-circuitent les intérêts par des mécanismes de transferts spéculaires et d’hallucinations jusqu’à faire qu’une identité quelconque contre-investisse, aille contre son intérêt qui la définit en tant qu’identité sans pour autant qu’elle s’évanouisse tout à fait. Ca, ca pourrait ne jamais lasser de nous étonner. On l’a vu avec les joutes équestres, les couleurs, l’argent, la survie de mort, autre... Mais bien parce que ces intérêts, dans la sécrétion incessante et proliférante d’effectuations, mots, choses, autres, n’ont pas le temps de se formuler. Ce n’est pas seulement que les corps, individuels, sociaux, etc. hallucinent l’identification/différenciation de leurs intérêts spéculaires pour se constituer, c’est que leur question même ne peut pas se poser. En d’autres termes, avec les intérêts, vous n’avez rien dans les mains. Vous ne pouvez pas, par exemple, constituer des corps ou articuler une société.


  Si les intérêts ne peuvent pas coïncider assez pour aller jusqu’à se formuler ; que des mécanismes comme le transfert spéculaire désigne le point où ils vont aller proliférer, on peut sans doute toujours se demander qui saisit et crée les possibilités... C’est de la dédifférenciation, c’est l’étage inférieur peut-on dire...


  Comment dire ? Posons la question de Bergson, celle qui insiste tant, celle de l’action. Vous voyez bien que l’action bute au niveau conceptuel ici, qui a comme une propension à produire des identités et des niveaux pour pouvoir organiser quelque chose. Dans son entrée de l’Encyclopédie « Economie », entendre « économie politique », c’est bien sur cette histoire d’intérêts que Rousseau dessine les organes du corps politique. Il faut regarder Rousseau procéder, qui identifie ici des intérêts particuliers, là la volonté générale, et désigne les points où l’entreprise se voue à l’échec. Il faudrait développer... Rousseau décrit les intérêts dits du « père de famille », qu’il range dans ceux particuliers et qu’il écarte de sa réflexion, puisqu’il... non pas les oppose, sinon il ne les écarterait pas, mais les... différentie de la volonté générale. Bon. Le voici donc avec une volonté générale, « qui tend toujours à la conservation et au bien-être du tout et de chaque partie », posée là dont il va bien falloir faire quelque chose. Mais Rousseau n’est pas idiot qui déjà, après avoir établi cette volonté, reconnaît que d’autres intérêts coagulent, que « toute société politique est composée d'autres sociétés plus petites, de différentes espèces dont chacune a ses intérêts et ses maximes »... Et le voilà qui s’embarque dans une sorte de hiérarchisation – c’est bien toute la virtuosité miraculeuse du rationalisme qui prolifère de chercher à ne pas proliférer – qui forcément classe tel intérêt comme supérieur à tel autre et voué à l’avaler, etc. Certes il note que « tous les particuliers qu'un intérêt commun réunit, en composent autant d'autres, permanentes ou passagères, dont la force n'est pas moins réelle pour être moins apparente » et encore que « Ce sont toutes ces associations tacites ou formelles qui modifient de tant de manières les apparences de la volonté publique par l'influence de la leur. » Mais il ne parvient pas, il ne le cherche pas d’ailleurs, à sortir de son classement.


  Alors... On a plusieurs fils à tirer... D’abord, ce point que Rousseau passe à la trappe n’est pourtant pas indifférent ; cette prolifération des intérêts ne compte pas pour rien dans une organisation qui est faite, comme le précise Foucault, de « transaction, au sens très large du mot « transaction », c’est-à-dire « action entre », c’est-à-dire par toute une série de conflits, d’accords, de discussions, de concessions réciproques » (Naissance du biopolitique, p. 14). Il y a production, sécrétion, prolifération des intérêts, qui ne coïncident que pour s’évanouir déjà ; qui rend caduque, l’idée même de les soumettre au pas d’une volonté générale dont on ne pourra jamais ne serait-ce que dessiner les contours mouvants, imprécis, arbitraires. Ensuite, je voudrais insister sur l’établissement même de quelque chose comme un intérêt comme prémisse de l’action, par exemple de l’action politique, un intérêt, c’est-à-dire une identité forcément et le rapport de soumission qu’il appelle. Ce n’est pas seulement ce rapport à l’intérêt général qui n’est qu’affaire de morale et de soumission. On le voit bien avant Rousseau, chez Spinoza même, qui balaie les questions insidieuses de Blyenberg en concluant que l’intérêt du particulier, c’est de se soumettre à la volonté générale. On le voit encore chez Freud avec ces histoires de Surmoi, puisque personne ne veut noter que dans ces derniers livres Freud se retourne contre la société. Certes, en passant, on peut dire qu’il y a un intérêt pratique à se mettre au pas, qui consiste à éviter les tracas. Mais au-delà de cette histoire d’intérêt général, c’est toute l’idée d’établir une identité arbitraire qui est loufoque. C’est forcément une fantaisie ahurie de vouloir croire que le monde fonctionne comme celui du verbe. Comment dire ? Etablir une identité, quelle qu’elle soit, c’est forcément s’y soumettre, ne serait-ce qu’à faire converger ses efforts pour maintenir cette identité dont on n’en finit pas de ne pas pouvoir taire l’arbitraire. Je veux insister sur cette articulation même, dont on peut interchanger les termes, qui de toutes façons sécrète quelque chose de l’ordre de la soumission. C’est bien pourquoi le marché capitaliste n’est jamais que cruauté, qui n’est fait que d’intérêts/identités. Enfin, – je rappelle que nous questionnons donc le rapport entre l’intérêt et l’action –, l’action, loin de s’articuler en prenant appui sur des identités quelconques, au contraire, n’est que prolifération et délire. Ce qu’on a vu la dernière fois, ce que Michel Troper permet de pointer, c’est que le rapport à la loi ne fonctionne que par la prolifération. Que la loi est le support ou l’agent d’une prolifération.


  Ce n’est pas seulement que ça ne sert à rien de fixer des intérêts quelconques pour organiser une action ; que l’action déborde de toutes façons un intérêt qu’elle n’a pas vocation à comprendre, mais même que la fixation d’un intérêt est une action, c’est-à-dire une prolifération, comme une autre ; que l’organisation de l’organisation est emportée en tant que sécrétion de prolifération.


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