Sur la photo en noir et blanc, Jean-Claude a treize ans. C’est lui, assis sur le muret, les mains cachées sous les cuisses, les cheveux en bataille, le regard cerné, la mine taciturne. Mi-étonné, mi contrarié. Etonné par la présence inédite du paternel venu là essayer un appareil photographique trouvé au marché, noir comme lui. Contrarié d’avoir à porter ces sandales de fille qu’il n’a pas eu d’autre choix que chausser s’il prétendait passer la porte du foyer. Il élabore déjà le scénario qu’il mettra au point avant le face à face avec son père. Ne lui a –t-il pas assez répété de ne pas traîner avec cette bande ? De la graine de voyou, des têtes de métèques, assène-t-il à son fils, en roulant les yeux et les Rr. Il n’était pas là, l’autre jour lorsqu’on a congédié « le fils de négro » et que Jean-Claude, qu’on surnomme déjà Lulu, a dû distribuer en silence quelques gnons, quelques savates avant que l’adversaire ne finisse par filer sur un dernier quolibet. Son meilleur ami, François, qui tourne vers lui son visage enjoué, ne l’a-t-il pas payé au terme d’une bagarre d’anthologie soldée par cette balafre encore cachée par un pansement mais qui le rappellera toute sa vie au bon souvenir de son petit camarade ? Cette blessure de guerre signant son courage fraternel scelle une amitié qu’ils déclareront éternelle.
Le petit caïd, posant fièrement les mains sur les hanches, ne cache rien, quant à lui, de ses intentions. Sa petite taille, ses yeux bridés, son sourire, ses cheveux mal taillés et le veston en laine qu’il conserve malgré la chaleur font de lui le parfait titi parisien auquel on file une pièce pour s’en débarrasser. Toujours un plan à proposer, un service à monnayer, une combine pour aller au ciné. Entre les deux, le visage tourné sous un crâne rasé, celui qui se méfie déjà des objectifs. Il ne paie pas de mine, mais malin comme un singe, il conjugue à merveille l’art de s’immiscer dans un clan pour y semer l’embrouille et devenir par là même l’indispensable maillon faisant s’équilibrer le fragile édifice de cette entreprise de la débrouille imposée par les parents eux-mêmes.
Ces parents, qui, au sortir de la guerre font face, pour la plupart, à leur sombre lâcheté. Ils commencent à peine d’ouvrir les yeux, encore éblouis de cette clarté subite qu’ils vont, frôlant les murs, presqu’à tâtons, renouer avec les grands principes, ceux-là qu’ils avaient si curieusement oublié d’appliquer. Le Maréchal, qu’ils continuent d’admirer en secret, les a mis à l’honneur à seule fin justement de ne point trop se mépriser soi-même. Travail, famille, patrie. Les enfants en pâtissent et c’est eux qu’on bride, ces gamins avides d’une liberté qu’ils ne finiront jamais de négocier.
Les quatre garçons postés près de l’église ne rêvent que d’une chose : porter des pantalons.