La petite dame à la croisée

Publié le 06 juillet 2011 par Corboland78

On m’avait dit, si tu passes par cette place tu la verras certainement à sa fenêtre. L’anecdote était plaisante mais insuffisante pour motiver mon voyage, je l’avais donc enfouie au plus profond de ma mémoire avec tout ce fatras de choses sues mais jamais utilisées ou pire encore, qui vous reviennent trop tard pour faire étalage de votre culture.

Les années avaient passé quand les hasards de la vie, ou un concours de circonstances sans gains probant pour le vainqueur, m’amenèrent dans cette ville bien connue mais dont je tairai le nom par discrétion. J’étais arrivé à la fin du printemps mais une chaleur exceptionnelle s’y était installée quelques jours avant moi et ne prévoyait pas d’en repartir prochainement, comme me l’avait expliqué avec forces gestes et dans une langue volubile que je ne comprenais pas le portier de l’hôtel.

Tous les soirs, rentré épuisé de mes longues courses dans la ville à visiter les monuments les plus célèbres, arpenter les salles des musées les plus renommés ou crapahuter dans les ruelles les plus typiques, je m’affalais dans la baignoire remplie d’eau tiède et parfumée. Les carrelages immaculés de la salle de bain ajoutaient une note de fraîcheur à ce havre de paix et de relaxation où je m’éternisais plus que nécessaire.

J’avais coché dans mon guide tous les lieux que je désirais voir et chaque jour j’envisageais un parcourt optimisant au mieux, un maximum de sites à découvrir. Il ne me restait que 48h pour achever mon séjour, j’avais prévu une dernière balade fléchée dans la ville avant un ultime jour où je m’accorderai une permission de glandage au gré de ma fantaisie. Fantaisie qui m’avait porté jusqu’à l’angle de la Via Rusticucci et de la Via della Conciliazione quand me revint en mémoire l’anecdote citée au début de ce texte. Comme quoi, si rien ne se créé, rien ne se perd. Je n’avais plus aucune raison pour ne pas aller voir la dame à sa fenêtre.

La place était immense cernée de bâtiments, la foule était nombreuse et dense. Un coup d’œil à ma montre confirma les alertes lancées par mon estomac, nous approchions de l’heure fatidique où l’honnête homme aime à passer à table, j’étais dans les temps mais j’imaginais mal pouvoir la repérer à sa croisée, trop de monde, trop de fenêtres. Pourtant cette foule ne semblait pas s’éparpiller au bonheur la chance, au contraire, une conscience collective l’animait et la portait vers un endroit précis, m’entraînant contre mon gré, fétu de paille soulevé par le flot. Déjà des bras se tendaient prolongés par des doigts qui en savaient long, des appareils photographiques exhibaient sans pudeur des érections métalliques et chromées vers une fenêtre grande ouverte, la foule souriante et grave ouvrait grands ses quinquets avide de n’en pas rater une miette, prisonnier du flux et conscient néanmoins que j’étais à l’endroit et à l’heure précise où elle ferait son apparition, comme tous j’attendais.

J’ai d’abord aperçu son bonnet, une sorte de calotte blanche pas très élégante, certainement un accessoire vestimentaire local. J’étais si loin, mais ce blanc sur le fond noire de la fenêtre ouverte, j’ai plissé les yeux, à cause du soleil et pour affûter ma vision. La petite dame s’est approchée tremblotante du rebord de sa fenêtre, elle a longuement secoué sa carpette avant de la laisser s’aérer sur la rambarde, habituée – j’imagine – à voir tous ces gens devant chez elle, par politesse elle nous a adressé un petit signe de la main ; je crois qu’elle a du dire quelques mots aussi, d’où j’étais placé je n’ai rien entendu mais aux mouvements de la foule, j’ai ressenti une joie générale très proche de l’extase. J’ai failli interroger mes voisins, mais entre les Japonais et les Polonais j’ai bien vite compris que ce serait peine perdue, d’ailleurs tout le monde commençait à refluer en groupes compacts et sages vers des rues plus commerçantes, en quête d’une trattoria et d’une assiette de spaghettis. J’avais intérêt à ne pas traîner si je voulais avoir ma part du festin !