Magazine Journal intime

Voyage au Congo (suite et fin)

Publié le 15 février 2008 par Stella

Un beau matin, le pays pourrait se réveiller et constater qu’il est assis sur un baril non plus de pétrole, mais de poudre. L’inégale répartition des richesses et notamment des revenus pétroliers est un facteur important de grogne sociale. « Le Congo est un pays riche, mais personne – ou presque – ne sait où va l’argent », s’insurge un député de l’opposition. Pourtant, lors de la campagne électorale qui a précédé les élections législatives, mi 2007, l’économie était singulièrement absente des discours. Chacun se borne à constater la situation paradoxale d’un pays dont le PIB 2006 était, selon la Banque mondiale, de l’ordre de 4,5 milliards de dollars et où 70 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Mais pour analyser la répartition des richesses, il faudrait savoir quel est le niveau de production des minerais, du bois, voire même du café ou du cacao et connaître de façon précise les revenus qui sont tirés de l’extraction du pétrole, les contrats d’exploitation étant tous dotés de clauses de confidentialité.

Eligible à l’initiative de réduction de la dette des Pays pauvres très endettés (PPTE), le Congo a entrepris plusieurs programmes de redressement économique. En 2005, il a attaqué une politique de « municipalisation renforcée », joli néologisme pour indiquer que priorité était désormais donnée à la décentralisation et à l’équipement des villes de moyenne importance. Un budget de 70 milliards de F CFA a été dévolu aux projets de réhabilitation. « 10 milliards ont été effectivement dépensés, affirme un responsable municipal de Dolisie, troisième ville du pays. Où est passé le reste ? La mairie est en reconstruction depuis deux ans et le maire est obligé de travailler chez lui. Le chantier du nouveau marché, un bâtiment à étage ambitieux et totalement inadapté à nos besoins, n’est qu’un amas de colonnes de béton et de tiges métalliques. Rien ne bouge. »

La ville est désormais dotée d’une gare routière flambant neuve, avec climatiseurs pour la salle d’attente et auvent destiné à ombrager les cars. Seul inconvénient : il n’y a pas de route. La « nationale 1 » est une mauvaise piste qui, tout en étant sensée relier Pointe-Noire à Brazzaville, s’arrête à moins d’une dizaine de kilomètres de Dolisie pour faire place à un invraisemblable chemin qui serait bien en peine de voir circuler le moindre transport en commun. Il faut l’assurance – naïve ? – d’un fonctionnaire récemment nommé pour affirmer sans sourire que « la route va bientôt être construite et [que] même les grumiers circulent sur la piste. » Espérons qu’aucun de ces camions fantômes ne connaisse le sort de la malheureuse débroussailleuse renversée « cul par-dessus tête » dans un fossé du bas-côté. « Le chauffeur n’a pas vu le trou à cause des herbes », rigole un gamin, perché sur l’habitacle. Il est chargé de la surveillance de l’engin, en attendant qu’arrive une dépanneuse. « Un bon job, pas fatigant et j’en ai pour un bout de temps ! » Mieux vaut en rire. Tout comme du « lycée d’excellence », une huitaine de bâtiments rénovés, situés à l’endroit même de l’ancien collège où le président de la république, Denis Sassou Nguesso, a étudié. Ils sont dotés d’un campus qui, bien qu’ayant été momentanément un centre de détention et d’interrogation au temps de la guerre civile, est désormais réhabilité et quasiment prêt à accueillir les élèves. Il manque juste les élèves et les enseignants. Il n’y en a pas davantage dans l’école d’apprentissage et de formation professionnelle pour garçons et jeunes filles. N’y aurait-il pas suffisamment d’enfants dans ce pays de 4 millions d’habitants pour remplir des établissements de ce genre ? L’inadéquation entre les besoins et les réalisations est criante.

Le gouvernement communique amplement tant à l’intérieur du pays que sur le plan international sur ses actions en faveur du développement durable, social et économique. Hyper-majoritaire à l’Assemblée nationale avec 124 sièges sur 137, le Parti congolais du travail (PCT) du président Denis Sassou-Nguesso et ses alliés ont toute latitude pour faire adopter les décisions. Cela ne fait pas du tout l’affaire d’une opposition riche d’une quarantaine de partis et qui peine à se rassembler lors des scrutins importants. Le dernier-né s’appelle Action pour la renaissance du Congo – Mwana Congo Telema. Créé le 17 octobre 2007 par Rigobert Ngouolali, ancien député de l’Union des forces démocratiques à l’Assemblée nationale, il est composé de militants déçus par la majorité présidentielle, rendus inquiets par ce qu’ils estiment être une paupérisation croissante de la population, notamment dans les villes. Mis rapidement en ordre de marche, il est présent dans sept arrondissements de Brazzaville et s’apprête à proposer des candidats pour les élections locales, qui devraient avoir lieu avant la fin du 2ème trimestre 2008.

C’est aussi le cas de l’Union de la démocratie et la république (UDR – Mwinda) de feu le Premier ministre André Milongo, qui prépare également son 1er congrès. Ce dernier s’est par ailleurs allié à l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS) et au Rassemblement pour la démocratie et le développement (RDD) de l’ancien président et Premier ministre Joaquim Yhombi Opango pour former l’Alliance pour une nouvelle république (ANR). Son principal objectif étant la conquête du pouvoir par la voie démocratique, il est très important pour elle de présenter des listes dans un maximum de circonscriptions.

Le bilan social que tirent les principaux représentants des forces politiques congolaises d’opposition est sensiblement le même, comment pourrait-il en être autrement. Au-delà de la déception ou de l’amertume d’avoir perdu le pouvoir depuis une dizaine d’années, ils constatent avec dépit et une colère croissante le fossé qui se creuse entre les performances macroéconomiques du pays, dopées par l’extraction d’un pétrole qui se négocie autour de 100 dollars le baril, et la stagnation sociale. 152 000 diplômés chômeurs, 300 000 jeunes formés mais sans emploi, c’est toute une tranche de la population congolaise qui peine à envisager son avenir. Soumise aux problèmes d’habitat insalubre, de transports, d’accès aux soins ou à l’éducation, elle n’a pas non plus l’énergie d’entreprendre, souvent pour cause de corruption omniprésente.

Dydime E. a créé une petite société qui vend et installe des climatiseurs. « La vente en magasin ne pose aucun problème, explique-t-il, les clients viennent, achètent et on leur assure le service après-vente. Mais il m’est impossible de me développer car, pour cela, il faudrait que je décroche des marchés avec l’administration ou avec des entreprises privées. Or la condition sine qua non est de rétrocéder des commissions. Elles sont en général si élevées que ce n’est plus intéressant pour moi de travailler. Donc je végète. »  Un exemple emblématique de ces pratiques qui privent le Congo d’une catégorie de PME/PMI qui pourraient pourtant constituer, à moyen terme, une classe moyenne susceptible de créer des emplois pour les moins qualifiés.

Que faire ? Le Congo est un pays en plein essor mais l’écart se creuse entre la classe dirigeante et ses affidés, qui profitent pour la plupart de la manne pétrolière, et le reste de la société dont le délabrement s’affirme au fil du temps. Le discours politique semble en panne, ressassant comme une antienne le besoin de réconciliation de tous les Congolais ou les nécessaires modifications constitutionnelles qui permettraient de donner plus de poids aux institutions et, par conséquent, à la vox populi. Le pays semble attendre son homme providentiel, celui qui saurait unir les hommes de bonne volonté, assainir la vie économique et pratiquer la bonne gouvernance. Il ne manque pas de leaders expérimentés et compétents, mais beaucoup sont bloqués par le système politique actuel. « J’aurai 70 ans en 2009 [date de la prochaine élection présidentielle, ndla], je ne pourrai donc pas me présenter », constate Joaquim Yhombi Opango. Dans le soir qui se couche sur Brazzaville, le cinquième délestage de la journée fait redémarrer les groupes électrogènes d’une même voix. La foultitude de taxis brinqueballe avec enthousiasme, ramenant à la maison les employés fatigués. A Dolisie, c’est l’heure agréable où la brise venue de la forêt du Mayombe atteint la ville et rafraîchit les terrasses. Chez Gaps, le restaurant le plus fameux du département du Niari tant par la qualité de sa cuisine que par la personnalité du patron, on prépare les missalas – crevettes d’eau douce – pour le dîner. Le Congo n’a pas que du pétrole, il a aussi une excellente gastronomie.


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