Ces deux expressions de ‘journaliste’ et de ‘citoyen’ ne sont-elles pas incompatibles ? Après tout, le journalisme est un métier avec ses règles, notamment déontologiques. Être citoyen n’est pas un métier, mais un état dû à l’appartenance à un pays. Le journalisme s’apprend, être citoyen se subit.
Lorsqu’il se veut un « bon journaliste », celui qui écrit doit savoir mettre entre parenthèses ses propres opinions pour présenter la vérité toute nue. Quitte à dire ce qu’il en pense (ou ce qu’il pense de ce que la société doit en penser) – mais à part. Il doit laisser le lecteur être maître de son opinion en lui donnant les sources (même sous la litote usuelle « proche d’un milieu bien informé » pour protéger les noms), donner toutes les références, les verbatim, les témoignages et leur fiabilité, les photos et vidéos, etc.
Lorsqu’il se veut « bon citoyen », celui qui parle doit savoir mettre en veilleuse ses critiques, ou les rendre constructives, pour ne pas marquer de buts contre son propre camp. « Right or wrong, my country », résument parfaitement les Anglais, ces grands patriotes. Qu’il ait raison ou tort, c’est mon pays.
Dès lors, la formule « journalisme citoyen » a tout de l’oxymore. On l’a bien vu il y a quelques années lors de la guerre américaine en Irak : les media ont suivi aveuglément – ou presque – les propos officiels. Ou du moins pour un temps. Et par patriotisme. De même, est-ce « journaliste » ou est-ce « citoyen » pour les media de se focaliser sur les stars et sur les paillettes du Président français, sans même considérer ce qu’il propose sur le fond ? Y a-t-il une plus grande « vérité » dans le people que dans les projets de lois ?
Ma propre expérience des blogs, déclinée en « journalisme citoyen » n’est pas la même que celle des autres : question de génération sans doute, d’usage des mots plutôt que des images (je n’avais pas la télé petit) et de recul professionnel. Je ne crois pas vraiment au « journalisme citoyen » au niveau national ou international. Au niveau local, peut-être, car chaque citoyen de la contrée connait mieux son coin que le journaliste venu de la grande ville ou du quartier chic. On l’a vu à Bondy lors des émeutes de 2005.
Nous, blogueurs lambdas, qui n’avons ni la formation, ni le temps et les pouvoirs d’enquête (sauf dans notre propre métier spécialisé), comment pourrions-nous être « journalistes » ? Citoyens, sûrement, mais cela ressort du commentaire, de l’opinion « politique ». Nous avons en vue la vie de la cité et peu à voir avec « la vérité » de l’information, au fond. C’est toute la différence que Max Weber faisait entre éthique de conviction (celle du savant) et éthique de responsabilité (celle du politique).
A moins de considérer (ce qui est le tropisme de l’époque) que tout vaut tout et que n’importe quel Léo Ferré peut devenir chef d’orchestre, d’un coup de baguette magique. Ou l’ado trop mignon(ne), star en herbe à la StarAc. Après tout, le système médiatique en son entier n’est-il pas fait pour « vendre » cette égalité factice entre tout le monde ? Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ; tout le monde il a quelque chose à dire. Il y a une naïveté volontariste dans tout ça, une méthode Coué. Elle fait bon marché de la réalité sociale… Tous journalistes comme on était hier tous juifs allemands ? N’importe qui capable de n’importe quoi ? Mais alors – pourquoi ne pas dire la même chose des citoyens ? « Tous citoyens » signifierait que personne ne l’est plus : il suffirait d’être là pour en être. Plus de pays, plus de frontières, “tout est dans tout et réciproquement” (attribué à Pierre Dac singeant Sartre…).
Pourquoi pas ? C’est le vieux rêve utopique des « citoyens du monde ». Tout comme le « tous journalistes » ressort du vieux rêve marxiste de l’épanouissement de l’homme dans tous ses possibles. De beaux rêves… mais qu’il faut construire pas à pas, dans le temps long. Dans la réalité d’aujourd’hui comme de tous les jours, ce n’est pas l’utopie qui règne ni la baguette magique qui écrit, mais les petits ego des uns et des autres. Rien de l’ange, beaucoup de la bête.
Autant que le lecteur, s’il ne veut pas perdre son temps ou s’il n’est pas convaincu d’avance, soit assuré de quelques garanties. D’une méthode d’enquête et de vérifications des informations, par exemple. Et d’un souci d’objectivité de la part de celui qui écrit ou montre, avec appareil des sources et références. C’est peut-être lourd, mais une bonne information est au prix des procédures pour l’obtenir et pour la présenter. Tout comme un lancement réussi de fusée spatiale, ou le décollage d’un avion de ligne… Imaginez-vous, en tant qu’amateur, aux commandes !
On ne peut donc être que journaliste. Le citoyen reste dans l’ombre. Sur les blogs, ou sur les sites « citoyens » comme AgoraVox, ce ne sont que des « opinions » qui s’écrivent. De la chronique d’amateurs éclairés, pas du « journalisme », même quand c’est bien fait.