Et pourtant.
Il y a longtemps, ayant passé quelques années difficiles dans un pays d'Afrique de l'Est, je me demande encore avec effroi comment la vie humaine a pu s'y développer.
Une chaleur intense.Peu d'eau.Des pierres à perte de vue. Quelques maigres arbustes.Des moustiques le long du littoral de la mer rouge. Des scorpions, des araignées, des hyènes, des singes cynocéphales, sortes de babouins, les canines longues comme celles des lions, qui gardent jalousement leurs points d'eau et qui vous lancent des pierres du haut des falaises quand vous stationnez trop longtemps au bord de l'oasis. La rage et l'agressivité qu'ils montrent sont instinctives, il en va de leur survie. L'eau vaut tout l'or du monde dans ces contrées. Pour eux, un seul choix : se battre ou crever. Ils lutteront. Il est prudent de reculer.Des nomades parcourent ce désert de cailloux volcaniques très vallonné , avec des fusils du genre "chassepot" pour toute arme. Ils chassent quelques gazelles, ça et là. Des filles incroyablement jeunes de 12 à 14 ans avec des nourrissons. . Elles ont été excisées et ont subi une infibulation qui les a mutilé pour le restant de leur courte vie. Ils parcourent cet enfer avec leurs caravanes de dromadaires, plantant une sorte de yourte en des lieux qu'ils connaissent depuis toujours.Une existence épouvantable, courte, injuste, terrible.Du courage. De la fierté. Une force morale inouïe en même temps qu'une infinie faiblesse qui émeut l'occidental que je suis.Nos ancêtres lointains ont vécu ces longues errances avec les mêmes vertus et la même modeste bravoure . Nous avons tout oublié...Plus loin, aux abords, des villes, les décharges publiques, une odeur exécrable. Des milliers de familles viennent recueillir les denrées avariées rejetées par les citadins.Des mouches. Des millions de mouches qui viennent se coller aux commissures des lèvres, au bord des paupières, dans le nez, à l'intérieur des oreilles. Des gamins, avec des pelles qui trient les ordures. Des rogatons de viande couverts de mouches. Un bourdonnement incessant. Une odeur pénétrante de décomposition. Une puanteur écœurante.Une moiteur enveloppante. La chaleur humide est telle que les restes avariés pourrissent en quelques heures.Et pourtant des gens se nourrissent de cette infâme pourriture. Ils n'ont guère le choix. C'est encore une question de survie. Dans ces pays le concept de "survie" est quotidien.Se nourrir pour survivre. Survivre pour se nourrir. Un cercle maléfique. Le destin effroyable d'être né au mauvais endroit. Impuissance tragique.
Même pas de désespoir, de récriminations, de reproches. Des rires d'enfants. L'occidental que je suis ne comprend pas cette absence de révolte, cette résignation devant une telle injustice.
Que feriez vous à leur place ? Dans ce pays, probable berceau de l'humanité, près des restes de Lucy, les conditions de vies sont devenues inhumaines.
À côté d'un tel drame.
Donnez ce que vous voulez, mais donnez...
À après.