Retour aux sources

Publié le 09 juillet 2011 par Jlk

Notes de l'isba (8)

RENOUER. - Rien ne se fera sans esprit de suite ni sans acharnement à continuer coûte que coûte, surtout si ça coûte, et d’autant plus que ce qui coûte le plus est gratuit aux yeux du grand nombre. L’art est aussi gratuit que l’air et aussi vital, sauf que l’air est donné et que l’art s’acquiert de haute lutte : mais c’est aussi un don à l’autre sens du terme, et cela aussi m’est cher. Renouer serait donc ce don que nous faisons en reconnaissance de ce jour donné chaque jour que Dieu fait.


DIEU. – L’usage de ce nom me revient sans référence, pur de son énorme charge historique de tradition spirituelle et délesté de toute implication politique ou sociale, que je ne refuse ni ne récuse pour autant. Dieu m’est ce matin la Personne absolue que le Christ incarne évidemment, mais là encore que de fatras d’interprétations et pour dire tout et son contraire, alors disons que Dieu est ce que je pourrais être absolument au-delà de tout ce que je suis, comme il est la lumière et l’aura de toute personne qui en est traversée, ou disons que Dieu et le Christ seraient la Parole absolue qui rendrait compte d’une humanité capable de l’entendre et qui n’en finit pas de faufiler son très mince rayon dans les ténèbres…
MUSIQUES. – Nous venons d’enterrer Dimitri, j’ai pensé au Christ byzantin d’Alexandre Cingria en assistant à l’office orthodoxe, Olivier Cingria est venu me serrer la main après la cérémonie et voilà : Dimitri ne verra pas paraître la suite en bleu et or des nouvelles Œuvres complètes de Charles-Albert dont la lecture fut notre première passion partagée, dès le début des années 70, et le prélude lumineux à notre amitié. Il me semble que c’est par Musiques de Fribourg que je suis entré dans le  labyrinthe harmonique du génial promeneur que je retrouve aujourd’hui par delà les eaux sombres.


DE LA SOURCE. - La professeure Doris Jakubec, dans son Introduction professorale à la nouvelle édition critique et parascientifique (pour ne pas dire patascientifique) des Œuvres complètes de Charles-Albert Cingria, affirme d’emblée que, pour Cingria, « le monde est un théâtre », mais je ne trouve pas que ce soit aller à la source. D’abord parce que c’est cadrer le monde de manière artificielle et par trop construite ; ensuite parce que Charles-Albert ne s’est jamais borné au rôle de spectateur. Comme le peintre chinois il est lui-même dans le tableau. Toujours il est partie intégrante du décor, qu’il campe et ne cesse de déplacer en bougeant lui-même, et jamais le décor ne fait toile de fond et moins encore panorama. L’univers selon Cingria n’est pas un spectacle mais une donnée essentielle omniprésente au double caractère ondulatoire et corpusculaire dont le chant du poète découle en coulant pour ainsi dire de source. Cela saute aux yeux et à l’esprit et à l’âme dès ses premières lettres de tout jeune homme qui sont l’expression la plus immédiate et la plus lustrale de sa voix, laquelle voix n’est aucunement celle d’un acteur en posture de déclamation.
DE LA VOIX ET DU CHANT. – Cette question de la voix est essentielle chez Cingria, qui module aussitôt un chant. Mais là encore il serait faux de supposer celui qui psalmodie dans la posture d’un récitant en déclamation. Charles-Albert a d’ailleurs signifié merveilleusement, à propos de Pétrarque, l’origine et la nature de cette voix. « L’écriture est un art d’oiseleur et les mots sont en cage, avec des ouvertures sur l’infini ».

Images: Charles-Albert en son jeune âge, et croqué par Géa Augsbourg.