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L'incroyable destin de Clarisse Manzon (23)

Publié le 12 juillet 2011 par Mazet

L’incroyable  destin de Clarisse Manzon : Episode 23 : L’étrange visite nocturne

Vers dix heures du soir, le comte d’Estourmel, Monsieur ENjelran, le greffier Bruguière, Clarisse et votre serviteur se mirent en route. Lorsque nous pénétrèrent dans cette maison Bancal où planait une odeur de mort, Madame Manzon fut prise à la gorge par l’angoisse. Une angoisse que j’avais ressentie tout au long du trajet, tant Clarisse serrait fort mon bras. Le préfet et son père sont entrés en premier. Quand elle a aperçu la grande table où on dit que le malheureux Fualdes fut étendu, elle a été saisie d’un tel effroi qu’elle s’évanouit en heurtant violemment le pied d’un lit. Je courus chercher du vinaigre et j’essayais vainement de mettre fin à cette torture. Rien n’y fit, le préfet voulait s’assurer que, du cabinet vitré, on pouvait avoir tout vu et tout entendu. Il chercha donc à y introduire Clarisse afin qu’elle se pénétrât des lieux jusque dans les moindres détails. Mais elle faillit retomber en syncope. Terrorisée, tenaillée par la hantise des revenants, Clarisse ne cessait de supplier qu’on l’arrachât à ce décor funèbre. Sa terreur n’était pas feinte. Sans pitié, le comte d’Estourmel lui déclara « qu’on l’y ramènerait, et plusieurs fois, si elle ne disait pas la vérité ». De ce jour, elle a vécu dans la hantise d’être enfermée dans la maison Bancal, si elle persistait dans son mutisme. Dès le lendemain, elle fut tirée du lit par un huissier venu lui signifier que le préfet l’attendait pour un nouvel interrogatoire. Peu après,  les opérations de harcèlement reprenaient. Elles devaient se poursuivre huit heures durant, sur une personne à jeun, prête à dire n’importe quoi pour abréger son supplice. Fermement décidé à faire trébucher sa victime dans un piège de sa façon, le comte d’Estourmel prit la parole :

   - Je viens d’apprendre de Monsieur Clémendot que vous êtes étiez habillée en homme dans la soirée du 19 mars.

   - C’est faux.

   - Vous le lui avez pourtant affirmé.

   - Il aura mal compris.

   - Cette circonstance ne peut avoir été inventée.

   - Et bien soit, j’étais habillée en homme.

   - Peut-on voir le costume ?

   - Je serais bien en peine de vous le montrer.

   - Je comprends, vous vous en êtes débarrassée.

   - Oui, j’ai brûlé le pantalon, il ne me reste que le spencer.

   - Pourquoi l’avoir brûlé ?

   - Je l’ignore.

Le préfet regarda son interlocutrice dans les yeux pour lui faire perdre contenance  et dit d’une voix grave : « Convenez, Madame que vous l’avez brûlé parce qu’il y avait des traces de sang ».

   - Et bien oui, il y avait du sang.

Pressée d’en finir, épuisée par la fatigue et la faim, Clarisse Manzon signa sa déposition. Elle ne se doutait pas que ces tâches de sang la désignaient comme la complice des assassins et que le préfet disposait désormais d’un moyen de pression qui en faisait l’esclave de sa volonté. Lorsque je la rejoignis, elle avait pris conscience qu’elle venait de tomber dans un nouveau piège. De son esprit tourmenté jaillit une nouvelle idée que j’essayais en vain de combattre. Elle prit sa plume et griffonna un faux rocambolesque qu’elle voulait présenter au préfet. Quelques jours après l’assassinat de Me Fualdés, à  la sortie de la messe, un mystérieux jeune homme, qui parlait en patois, lui remit une lettre dans un peloton avant de s’esquiver. Cette lettre, d’une belle écriture, semblait à son avis avoir été écrite par Mme Pons, belle-sœur de Bastide. Elle contenait quelques conseils.

« Une femme a pris ton nom, elle était chez la Bancal. Si cela vient à se découvrir, ne nie pas, tu ne risques rien, tu n’as rien vu ni rien entendu. Tu diras que tu avais à parler à quelqu’un, que tu es entrée et que tu as été reconduite par quelqu’un que tu ne connais pas jusqu’à la place de la Cité. Dis que tu étais en homme. Si on veut voir ton habit, dis qu’il est brulé. Si on te dit pourquoi, dis qu’il y avait du sang. Tu ne risques rien. Si tu as des dettes, elles seront payées et après le jugement tu n’auras pas besoin du secours de ton père. Prends garde si tu ne brûles pas cette lettre après l’avoir lue. Si tu en parles, jamais tu ne pourras nous échapper et le poignard ou le poison nous délivreront de toi [...]. »

Je la suppliai de brûler ce tissu d’inepties qui n’allait pas manquer de faire sourire le préfet. Hélas, elle le lui remit en mains propres le 4 août. Le comte d’Estourmel fit mine de croire en son authenticité. Ne prouvait-il pas que la famille de Bastide-Gramont se faisait l’âme de toutes les intrigues sans remettre vraiment en cause la présence de Clarisse Manzon sur les lieux du crime?

Clarisse Manzon s’enferma dès lors dans un système de dénégation total mais sa marge de manœuvre était illusoire. Pouvait-elle renier sa déclaration du 1er  août sans être parjure? Ses vêtements tachés de sang ne la désignaient-ils pas comme complice ? Et son père n’était-il pas l’otage de ses persécuteurs? Cependant le ministère public n’était pas non plus tiré d’affaire. Il avait fait de Clarisse le témoin clé de l’affaire. De sa présence dans la maison Bancal dépendait le triomphe de l’accusation. Le procès devait s’ouvrir le 18 août et jusqu’à la comparution de singulière héroïne, nul ne pouvait savoir quelle serait son attitude.  


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