soif de justice
Publié le 14 juillet 2011 par Moinillon
« Le 14 juillet, prise de la Bastille.
J'assistai, comme spectateur, à cet assaut contre quelques invalides et un
timide gouverneur : si l'on eût tenu les portes fermées, jamais le peuple ne
fût entré dans la forteresse. Je vis tirer deux ou trois coups de canon, non
par les invalides, mais par des gardes-françaises, déjà montés sur les tours.
De Launay, arraché de sa cachette, après avoir subi mille outrages, est assommé
sur les marches de l'Hôtel de Ville ; le prévôt des marchands, Flesselles, a la
tête cassée d'un coup de pistolet ; c'est ce spectacle que des béats sans cœur
trouvaient si beau. Au milieu de ces meurtres, on se livrait à des orgies,
comme dans les troubles de Rome, sous Othon et Vitellius. On promenait dans des
fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants
au cabaret ; des prostituées et des sans-culottes commençaient à régner, et
leur faisaient escorte. Les passants se découvraient avec le respect de la
peur, devant ces héros, dont quelques-uns moururent de fatigue au milieu de
leur triomphe. Les clefs de la Bastille se multiplièrent ; on en envoya à tous
les niais d'importance dans les quatre parties du monde. Que de fois j'ai
manqué ma fortune ! Si moi, spectateur, je me fusse inscrit sur le registre des
vainqueurs, j'aurais une pension aujourd'hui. »
François-René de Chateaubriand,
Mémoires d'outre-tombe, 1848 (t. 1, livre 5, ch. 8, novembre 1821).