Notes de l’isba (10)
MATINES. – Quatre heures est la bonne heure pour écrire quand on s’est couché tôt ou qu’on n’a pas trop sifflé de Suze. Or c’est précisément la Suze, ou ce qui en tient lieu aujourd’hui sous la même appellation mais après micmac chimique et réhabilitation publicitaire, qui m’a réveillé si tôt après m’être pieuté bien tard.
Tant mieux, quand bien même la palpite dit la fatigue de la machine : l’important est de retrouver cette heure nue, d’abord squelette d’angoisse et ensuite s’humanisant comme « l’espèce humaine se transforme en humanité », selon la formule de mon vieux maître Nicolas Berdiaev.
MYSTIQUE. –Le prêtre orthodoxe serbe qui a enterré Dimitri l’autre jour a rappelé, dans son laïus final à visée de bénédiction cléricale et nationale, que notre ami était mort le 28 juin, date correspondant à celle de la bataille fondatrice du peuple serbe – défaite magiquement transformée en victoire -, au Champ des Merles, en 1389, commémorée en grand pompe par Slobodan Milosevic en 1985.
Or je me rappelle, moi, que Milosevic appelait Dimitri sa « petite Serbie mystique », comme son instituteur l’appelait « petite tête serbe » au temps où son père croupissait dans les prisons de Tito le Croate.
Et après ?
C’est ce que je me suis toujours demandé en lisant les sublimes élucubrations de Joseph de Maistre sur les plans de la Providence, qui m’ont toujours semblé aussi vraisemblables que les onze mille vierges au nom desquelles on occit l’infidèle – tout ça faisant le lit du Bourreau.
Mais à l’heure douce qu’il est voici que me reviennent les mots d’Angelus Silesius : « Je sais que sans moi Dieu ne peut vivre un instant : suis-je réduit à rien, il doit rendre l’esprit »…
MUTTERHORN. – La peinture est pour moi l’un ds liens les plus forts avec la mystérieuse réalité, au même titre que la lecture et l’écriture, mais physiquement, et peut-être même métaphysiquement, plus importante que la lecture et l’écriture.
Tout à l’heure, en moins d’une heure, sur une toile préparée avec un fond de terre de Sienne, m’est venu ce Cervin au ciel rose comme aurait jailli un chant ou une idée de chant, à la fois apollinienne et dionysiaque. Il y a là comme un effet d’électricité physique et spirituelle qui culmine, à mes yeux, dans la consonance du rose, de l’ocre blanchoyant et du bleu de lac de glacier à la fonte de source.
Telle étant la corne virile de la Mère Patrie en son appellation déviée de Mutterhorn…
Image : JLK, Cervin strawberry. Huile sur toile, 30x30. Juillet 2011.