Magazine Journal intime

Roman épistolaire – 11e échange

Publié le 20 juillet 2011 par Gintonhic @GinTonHic

Le problème avec l’enfance, la mienne, la tienne, celle d’à peu près tout le monde, c’est qu’on ne dit pas la vérité aux enfants.  Et si on ne la dit pas, c’est qu’on ne la connaît pas.  Les parents apprennent à vivre à deux et à trois et à quatre en même temps que les enfants l’apprennent.  On voudrait bien que les parents soient parfaits, tout pleins de connaissances, de patience et d’amour.  Mais la vérité n’est pas là.  En fait, elle n’est pas là, parce qu’il n’y en a pas, de vérité.  Dans le sens de quelque chose qu’on pourrait arrêter et dire voilà, c’est ça pour aujourd’hui et pour toujours, rien ne va y changer quoi que ce soit.  Une manière de rocher sur le bord d’un lac.  Et encore là, le rocher, il finit par s’user sous le frottement du vent, de la pluie et de la lumière du soleil.  

Le peu que je sais de la vie, c’est qu’elle bouge toujours.  Je bouge en elle et elle bouge en moi.  Enfant, c’était évidemment pareil.  Et c’était évidemment pareil pour mes parents.  Quel miracle auraient-ils donc pu faire d’autres que de faire de leur mieux?  Et ça, tu vois, j’en suis convaincu, malgré tout ils ont fait de leur mieux.  C’est peut-être ça, l’amour : faire de son mieux, le cœur et l’esprit ouverts, sachant que rien n’est su à l’avance, que tout se présente toujours sous un nouvel angle chaque matin, a une nouvelle teinte, un nouveau son, goûte autrement, que tout bouge avec nous dedans et, quand on meurt, que tout continue de bouger sans nous.  

Bien d’accord avec toi pour ce qui est de l’ivresse mensongère du prince Charmant et de la belle Princesse.  Manière très naïve de dire aux enfants qu’il est normal, naturel d’être attiré, un jour ou l’autre, par l’aventure de vivre des sentiments chaleureux avec une autre personne.  Ça veut, en nous.  « Ça. »  Ça pousse en nous vers la vie, vers le maintien de la vie et vers la reproduction de la vie.  Pourquoi?  Fouille-moi!  À ce niveau, on est exactement ce que nous sommes, mais que nous ne voulons pas voir : des animaux.  Les plus intelligents des animaux, peut-être, mais des bêtes tout de même.  Et je n’ai rien contre ça, au contraire.  C’est quand on l’oublie que les problèmes commencent.  Qu’on s’invente toutes sortes de croyances qui nous éloignent de la vie, de sa beauté comme de sa dureté naturelles.  

C’est dur de voir clair, dis-tu?  Oui, mais, qui a dit que ce doit être facile, de voir?  d’élever des enfants à hauteur d’adultes à peu près normaux?  d’aimer?  de vivre?  Et non, on ne souffre pas pour rien.  On souffre parce que la souffrance existe dans la vie même.  Ça commence dès le début : le nouveau-né hurle à mourir et la mère crie comme si on en la déchirait en deux!  Mais si tu veux m’entraîner sur le chemin invisible de la vie après la vie, qu’on souffre ici-bas pour mieux mériter une vie parfaite quand on va manger les pissenlits par la racine, là, tu me connais, je décroche et je décoche des flèches pas mal pointues.  Il y a tellement de gens qui prennent la vie pour un tapis étendu devant la porte d’un supposé paradis!  D’ailleurs, de dire « ici-bas », ça dit bien à quelle hauteur on la place, la pourtant si nécessaire vie!  Comme si on se situait à l’extérieure d’elle pour la juger et nous croire au-dessus d’elle, alors que nous somme faits d’elle et de rien d’autre, et que, quand elle n’est plus là, mettons qu’on n’est plus grand-chose! 

La vie, c’est tout ce que j’ai.  Ça, j’en suis sûr, je peux le vérifier, c’est concret, c’est là et pas ailleurs.  Un jour, une nuit, une sale année, je vais mourir et tout sera dit pour moi.  Je verrai bien ce qui se passera alors.  Mais, encore là, comment « voir » sans yeux?  La seule chose qui me dérange vraiment avec la mort, c’est celle de mes proches et, surtout surtout surtout celle de ma fille rare.  Ce que je souhaite le plus au monde, c’est de ne pas vivre ça, c’est donc de mourir avant elle.  Ma mort, quand elle sera là, je ne la verrai pas.  Pas de quoi m’en faire avec ça.  Ce ne sera pas pire que ce que c’était avant de naître.  

Ouf!  J’avais des choses à faire sortir, faut croire!  Il a tonné fort hier, c’est peut-être pour ça.  Tellement de bien ça me fait d’écrire les belles comme les moins belles choses de la vie!  C’est fort, les mots.  Un gros merci à toi de me permettre d’en mettre quelques-uns sur ce que je pense, sur ce que je vis.  

Tu termines ta dernière lettre avec « Avant tu sais quoi… »  Tu ouvres une porte, là, et pas n’importe laquelle.  À toi de passer le seuil ou non.  Moi, je suis tout ouïe (tout oui).  Tiens, je vais même faire comme si je ne savais rien de rien.  Si ça te tente, pour un moment considère-moi comme un pur étranger (c’est possible, ça, pour un être humain, étranger ou non, d’être pur?)… sympathique, qui t’inspire confiance, et… vas-y!

Écrit par Martin Thibault Écrivain


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