La remarque est souvent faite de manière anodine : “Tu me rappelles quand j’étais comme toi”. Dans les yeux de celui qui le dit, une certaine lueur…alors qu’il parle ainsi à un collaborateur pour qui il a de l’admiration. Il revoit dans celui-ci, son enthousiasme, son exubérance, sa folie, sa passion…. Il revoit lui-même et le film de sa vie.
C’est fou, simple et bête…Mais regardez bien autour de vous…ou même simplement dans votre histoire personnelle et vous remarquerez que ceux que le patron estime être le meilleure collaborateur a du talent, de la passion, de l’envie, de l’implication….Mais il a surtout quelque chose du patron.
La vérité est simple. L’image narcissique en organisation prend très vite forme dans l’expression collaborative. Le “moi”, tout beau, tout bien…se cherche dans l’autre…et se reflète dans le collaborateur. C’est très généralement la projection de “moi” qui fonde la valeur du collaborateur et qui décide qui est le meilleur des collaborateurs : celui qui me rappelle le plus moi-même.
Ainsi, les patrons ont tendance à être proche de ceux là dans lesquels ils semblent retrouver une partie de leur histoire, de leur processus…
Tout ceci serait sans soupçons si tous les patrons étaient des bombes de compétences et de perfection professionnelle. En effet, certains collaborateurs de très haut niveau ne sont pas forcément portés en haute estime au profit d’autres dans lesquels les patrons préfèrent miser généralement à cause d’une sensibilité personnelle.
Examinons ce qui se passe.
Nous avons posé dans nos premiers articles que toute expérience professionnelle commence avec le “sujet-héros”. Ce qui crée l’engouement, l’implication, c’est avant tout ce “sujet-héros” qui prend forme de manière inconsciente. Nous avons posé que le “sujet-héros” finit par céder sa place au “sujet-réel” et que toute la magie de l’adaptation professionnelle réside dans la capacité du “sujet-rée”l à encadrer le “sujet-héros” et la “subsistance” dans une certaine harmonie. Mais ce processus signifie aussi le deuil du “sujet-héros”….un deuil qui chez bien de patrons n’évolue jamais jusqu’à sa phase finale. Il y’a toujours chez beaucoup un relent nostalgique qui s’exprime de manière voilée sur soi-même, mais de manière beaucoup plus ouverte sur l’autre.
Le jeune ambitieux qui me rappelle moi…est en général l’expression visible du moi qui ne peut plus s’exprimer ouvertement. Il est l’inconscient qui passe à la conscience sans que se mette en place des mesures de censure puisque ce n’est pas moi…mais l’autre.
Il est la libération sous deux formes :
Le “sujet-réel” qui a pris le chemin de l’équilibre entre le “sujet-héros” et la “subsistance” et qui désormais regarde tout ce qui lui rappelle le “sujet-héros” qui n’est jamais devenu le grand manitou…comme un chemin d’équilibre. Le patron jouit de retrouver son “sujet-héros” en pleine phase d’expression libre…il jouit de retrouver tous les éléments de son propre “sujet-héros” avec autant de liberté chez l’autre…Il jouit également de savoir et de voir la mutation de ce “sujet-héros” vers un “sujet-réel” qu’il connait lui-même…bref, il jouit de savoir son histoire universel.
La “subsistance” qui a perdu avec douleur le “sujet-héros” et qui en le revoyant chez l’autre, se ressent vivre. Le “sujet-héros” perçu chez l’autre dans cette forme d’expression, est vécu comme étant soi-même. En général, le patron apprivoise ainsi le collaborateur dans une dynamique où le “sujet-héros” devient sa propriété, devient lui-même. Il ira partout avec ce collaborateur, le fera vivre son environnement…bref, en gardant ainsi sous sa coupe le collaborateur, il vit par procuration psychologique…La représentation du “sujet-héros” à côté de lui devient l’élément jouissif qui reconfigure son propre “sujet-héros” par procuration.
Dans les deux cas, bien des dérapages sont possibles.
Il arrive très souvent que le patron s’attache profondément à cette image et à ce chemin du “sujet-héros” qu’il en devient un artisan…et commence à régenter la vie du collaborateur.
Il arrive aussi que le patron apprivoise un peu trop le collaborateur qui lui désormais commence à vivre la “subsistance” du patron pour créer un syndicat de “non-réalisés”…
Dans tous les cas, il faut savoir que le “sujet-héro”s a en général une fin. Et qu’à ce moment, le parfait collaborateur qui traduit alors le caractère brut de la vie, perd de sa magie. Seuls les patrons qui ont su prendre de la hauteur par rapport à leur propre “sujet-héros” alors gardent la tête lucide sur qui est vraiment bon ou pas…Et définissent le bon ou mauvais collaborateur sur autre chose que leurs propres turpitudes psychologiques.