Enfant cherche parrain de son âge

Publié le 17 février 2008 par Didier T.


Source de la photographie (Armin Wenger-1915) : CDCA
Bonjour,
Je m'appelle Armen et j'ai 10 ans. Mes parents ne me reconnaitraient même pas tellement j'ai maigri. Et puis, ils sont morts hier. De faim, comme moi dans quelques jours, je pense. J'habite un pays un peu lointain, mais pas tant que ça. Dans quelques années, il faudra à peine deux heures d'avion pour venir de Paris jusqu'ici. Aujourd'hui, c'est un peu plus long, et c'est peut-être pour ça que je n'ai vu personne venir nous aider quand ils nous ont emmenés. On était tellement nombreux ! Et je ne suis pas allé suffisamment longtemps à l'école pour pouvoir compter tous les enfants comme moi que j'ai vu mourir ces derniers mois.

Dans quelques années aussi, en 1944 exactement, un Monsieur du nom de Lemkin inventera le mot de génocide, pour décrire les crimes commis par l'Allemagne Nazie.
Moi, je trouve que ce mot va très bien pour décrire ce qui est arrivé à ma famille, à mes amis, à mes voisins, à tous ceux qui ont un nom qui se termine par "ian" comme mon nom à moi.

Ô, ne croyez pas que j'essaie de dire que mon peuple a été le seul ou le premier qui ait été exterminé, de là où je serai bientôt j'en verrai d'autres des massacres. Des enfants juifs, des enfants rwandais, des enfants vietnamiens, des enfants russes, des enfants indiens, là-bas, en Amérique (c'était avant moi ça, je crois), ça en fait beaucoup, dommage que je n'ai pas appris à compter, vraiment dommage. La seule chose que je fais, c'est que je vous raconte que pour moi aussi, il serait peut-être nécessaire qu'on s'occupe de ma mémoire, qu'on explique à des écoliers de dix ans comment les gouvernements européens ont fermé les yeux sur ce que les Turcs m'ont fait. Moi aussi j'aimerais accompagner par la pensée un enfant comme moi, mais en bonne santé, bien nourri, un enfant qui peut aller à l'école aujourd'hui. On pourrait ainsi apprendre à ce gamin comment ceux qui ont fait l'histoire nous ont tous abandonnés.
Et puis non ! Je n'en ai pas envie. Ce sont des histoires de grandes personnes. J'ai suffisamment pris de tristesse pour moi et je n'ai pas envie de la transmettre à qui que ce soit.
Il parait que dans quelques années, on laissera les enfants tranquilles, on leur montrera le plus longtemps possible uniquement de belles choses, on essaiera de les laisser grandir dans la joie, car ils auront beaucoup de peines à gérer quand ils seront adultes.
Alors, je vais mourir, c'est sûr, je sais pas trop ce que c'est et c'est peut-être mieux. Est-ce que ça fait mal ? Je ne sais pas.

J'espère juste qu'après, on me laissera tranquille, et ces enfants aussi.

Publié par les diablotintines