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Toujours une Place…

Publié le 22 juillet 2011 par Hugues-André Serres

Toujours une Place

[...] À Okinawa, que l’on soit mort ou vivant, on a toujours une place. À quelque âge que ce soit. Et si la place ne nous est pas donné, on la prend. La notion de « retraite » est très différente de celle que nous connaissons. Dans nos pays, la retraite est souvent synonyme de déclassement. Du jour au lendemain, une personne dont la vie était occupée et valorisée par une fonction se retrouve « débranchée« . Si elle ne s’est investie dans aucune activité personnelle, culturelle, sociale, et pour peu que sa vie familiale ou affective soit peu satisfaisante, elle risque la déprime. On constate dans nos sociétés que ce passage est devenu en soi un facteur de risque de surpoids : chute de l’activité physique, remplissage stomacal qui cherche à combler les autres vides, de pathologies diverses et d’accélération du vieillissement.

Si pour de nombreux japonais, eux aussi très « instrumentalisés » par les systèmes scolaires et économique, le risque est similaire, c’est rarement le cas à Okinawa où la petite économie des retraités est très dense. Déjà les femmes s’attendent à vivre dix, vingt, trente ans ou plus seules. La plupart d’entre elles n’ont aucune envie de se morfondre dans leur coin. Elles ont toujours été actives et se préparent souvent une activité bien avant de se retrouver isolées et démunies. Une fois veuves, c’est une nouvelle vie qui commence. Elles vont vendre les produits de leur jardin au marché, se lancent dans l’artisanat, ouvrent de petits commerces : restaurant, boutique de fleurs… Et parfois, ce sont les hommes qui se retrouvent seuls. Eux aussi rebondissent et continuent  de pêcher à leur rythme, deviennent chauffeurs de taxi ou vont aider leurs enfants dans leur affaire… par ailleurs, 80% des Okinawaïens s’investissent dans des activités : ils jouent de la musique, chantent, se retrouvent sur les terrains de jeu, pratiquent le tai-chi ou les arts martiaux, assistent ceux qui en ont besoin…

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« Shikinoo, chui shiiji, shiru, kurasu. »
« Nous sommes faits pour vivre par les autres et pour les autres. » - Proverbe d’Okinawa.

Des traditions ont tissé dans toute la société un réseau très dense de soutien. (NB .: Surtout après la Guerre…) C’est le cas de yuimaru, de moai et de ayakaru. Yuimaru signifie « cercle de connexion« . C’est une tradition d’entraide et de partage issue de la culture rurale et, très certainement, de la nuit des temps, lorsque la vie grégaire était une nécessité pour survivre. Que ce soit pour les récoltes, pour construire une maison ou en cas de coup dur, tous se mobilisent. À Okinawa, et c’est malheureusement un exemple très rare, cette tradition est restée vivante dans tout le tissu social, y compris urbain, même si les conditions de vie sont aujourd’hui plus faciles. Elle a, hélas, tendance à se perdre chez les plus jeunes. Une histoire recueillie par l’équipe de l’étude sur les Centenaires donne une idée de la manière plus subtile par laquelle yuimaru reste présent. Dans un village, un couple très âgé tenait une épicerie. Après le décès de son mari, la dame a commencé à avoir quelques difficultés à garder un approvisionnement suffisant. Parfois, ce qu’elle vendait n’était plus très comestible. Mais l’ensemble des villageois ont continué à fréquenter la boutique comme avant, à venir discuter avec la dame, à acheter quelque chose, même si, parfois, ils ne le mangeaient pas, afin qu’elle se sente faire partie de la communauté. C’est yuimaru qui permet à la plupart des centenaires, même les plus autonomes, de continuer à vivre chez eux. Il y a toujours quelqu’un pour faire les courses, le ménage, pour voir si tout va bien, tenir compagnie, donner les nouvelles, apporter du thé ou un petit extra, pour venir jouer d’un instrument ou chanter…

Moai pourrait se traduire par « rencontres coopératives« . La famille, les amis, les voisins, les femmes comme les hommes cultivent des amitiés, se retrouvent en cercles, par exemple pour partager chaque semaine le thè, les nouvelles, chercher des solutions à des problèmes et, surtout, pour le plaisir de se retrouver. Un pot est placé au milieu de la table et chacun y met une somme sur laquelle tous se sont mis d’accord, et le plus démuni repartira avec. Ces cercles se caractérisent par une grande stabilité. Les enquêteurs de l’étude des centenaires ont découvert un groupe de personnes qui se connaissent depuis l’école primaire et qui, depuis quatre vingt ans, se réunissent régulièrement. Lorsque je relate cet aspect de la vie d’Okinawa en Europe, on imagine que c’est un phénomène résiduel des coins reculés de l’île. Pas du tout. Plus de la moitié de la population, les jeunes comme les vieux, et ceci malgré une forte immigration en provenance des îles principales du Japon, participent à des moai. Et la plupart des gens interrogés révèlent qu’ils font partie de plusieurs moai, parfois jusqu’à huit ! [...] Sources .:  Okinawa, un programme global pour mieux vivre. Dr Jean-Paul Curtay.

PS .: Il y a un petit moment déjà que je voulais vous faire suivre cet excellent texte… (Manque de temps…) Aujourd’hui c’est donc chose faite

:-)
– Ce texte sonne comme une évidence. Pourtant dans un monde ou la compétition forcenée et l’individualisme assassin nous coupe un peu plus chaque jour de nous-mêmes, de nos vraies valeurs, de ce que nous sommes vraiment chacun en essence. Il faut espérer qu’en ces jours difficiles, un peu plus de personnes se réveillent enfin. Il est temps ! Car après, malheureusement, il risque fort que ce soit trop tard…

« La pierre n’a point d’espoir d’être autre
chose, s’assemble et devient Temple. » Antoine de St-Exupéry.

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