Retour de Chine

Publié le 22 juillet 2011 par Addiction2010
 

C’est vrai, « retour de Chine », cela fait carrément pompeux comme titre. Surtout que j’ai si peu à raconter. Comme souvent lorsque je voyage, non pour le plaisir mais pour le travail, j’imagine que je vais avoir le temps d’écrire, dans l’avion pour occuper la douzaine d’heures, ou quand l’insomnie me prendra à cause du décalage horaire. Et puis, je n’ai ni la disponibilité, ni surtout l’envie. D’ailleurs, ce ne serait pas l’envie mais la nécessité, cette force irrépressible qui pousse à aligner les mots, à former des phrases pour exprimer ce qui bouleverse l’esprit. Mais en Chine, je suis juste impressionné, effrayé parfois par ce monde qui change si vite.

D’un côté, il y a bien sûr ce que l’on appelle le progrès, un niveau de vie qui s’élève très vite. Pour certains du moins. Et bien entendu, ceux que je viens rencontrer, avec qui je travaille, sont les bénéficiaires de cette évolution. Leurs parents avaient un vélo, ils ont une voiture, deux parfois. Les jeunes chinois urbains sont aussi accrochés à leur téléphone portable que les européens du même âge. C’est aussi cela la mondialisation : chacun oublie sa culture et plonge dans un bouillon uniforme et surtout insipide.

Et puis, il y a les oubliés. Je me trouvai l’autre jour en un lieu assez touristique, toutefois surtout fréquenté par des chinois. Des gamins, très jeunes, à peine dix ans, sans doute moins, criaient « Massage ! » ou « Sex ! » et distribuaient des cartes ornées d’images de grandes blondes russes ou de chinoises pour attirer l’œil et d’un numéro de téléphone. J’en reçus une quinzaine et les collègues autant. Il s’agissait bien de la publicité distribuée pour le compte de quelques proxénètes, au vu et au su de tout le monde. Evidemment, les jeunes chinoises qui sont envoyées auprès de ceux qui utilisent ces numéros de téléphone ne font pas partie des bénéficiaires de ce fameux boom économique. Sans doute des campagnardes pauvres attirées par les lumières de la ville. Je n’ai pas vérifié : je n’ai de toute manière aucune attirance, ni pour les grandes blondes, ni pour l’exotisme asiatique qui alimente pourtant les fantasmes de tant d’européens.

Parler des inégalités en Chine est quasiment un poncif. Pourtant à côté des milliardaires, parfois des caciques corrompus qui savent néanmoins risquer leur peau s’il sont pris, et qui exploitent une main d’œuvre en quasi servage dans des usines immenses auxquelles sont adossés des dortoirs tout aussi gigantesques, il y a aussi une classe moyenne dont le niveau de vie rejoint à grande vitesse celui de son équivalent européen. Parmi eux existe une certaine aristocratie, qui va jusqu’à se réclamer d’une sorte de noblesse du prolétariat. De paysans ou ouvriers, ils sont devenus petits bourgeois. Et leurs enfants ignorent déjà d’où ils sont sortis.

Juste une anecdote là-dessus. Les chinois ont comme les français le goût de la table. Tiens, il y aurait beaucoup à écrire à propos de la cuisine chinoise, de la multitude de saveurs et de la mauvaise réputation que lui font les prétendus restaurants chinois de par le monde. Mais là n’est pas mon propos. Car une fois autour d’une table, une fois la question de savoir ce que nos habitudes étranges nous permettent de manger, la conversation peut partir sur les sujets ordinaire, en particulier la vie de famille. C’est ainsi qu’une de nos collègue en est venu à nous expliquer que sa fille, de quatorze ans, était en voyage scolaire et qu’après quelques visites culturelle et touristiques, l’école assez huppée organisait aussi la visite d’une région minière pour montrer à ces petits bourgeois des villes que dans leur pays, certains vivent encore dans une misère archaïque, rythmée faut-il le rappeler par les coups de grisou et l’hécatombe qu’ils provoquent.

Ah, ce n’est pas un lycée de l’ouest parisien qui ferait cela…

Mais bien sûr, ce n’est qu’une visite rapide, sans doute aussi pour rappeler à ces petits privilégiés de la classe moyenne que la mythologie prolétarienne a un fondement dans la réalité, dans une réalité qui se prolonge encore aujourd’hui, une réalité qui pourrait, sait-on jamais, les rattraper.

Beijing Lu