La Beauté et les mots des poètes

Publié le 23 juillet 2011 par Perceval

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d'une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !

Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Charles Baudelaire (les fleurs du mal)


"...Ah! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu..." 

Baudelaire  Le Spleen de Paris


 

" ...Il y a plus puissant que les actes et le mots. Ceux-ci ne sont finalement que ce qui nous sert à participer au quotidien commun, ce sont des échelles qui partent de notre fenêtre pour atteindre à la maison du voisin. Nous n'en aurions guère eu besoin si nous étions restés des solitaires, chacun sur une étoile, et de fait nous n'en usons point dans les instants où nous nous sentons tellement solitaires. Nous sommes alors tout pleins d'une expérience moins bruyante, nous sommes de retour dans un pays aux usages sacrés et secrets, en toute inactivité nous créons, et nous sommes au-delà des mots. " Rainer Maria Rilke, extrait de La valeur du monologue (1898)

Ils appellent mystique toute expérience sensible quand elle est réfléchie.
Ainsi une pomme devient mystique quand j'y goûte
l'été et les neiges, le sauvage désordre de la terre
et l'insistance du soleil.
Autant de choses que je puis sans faute goûter dans une bonne pomme
Bien que certaines pommes aient surtout un goût d'eau, humides et acides
et d'autres le goût de trop de soleil, douceur croupie
d'une eau de lagune recuite au soleil.
Si je dis que je goûte ces choses dans une pomme, on me dit mystique et cela signifie menteur.
La seule façon de manger une pomme, c'est de la bouffer comme un cochon
et de ne rien goûter
de ce qui est réel.
Mais si je mange une pomme, j'aime la manger avec tous mes sens éveillés.
La bouffer comme un cochon, j'appelle ça nourrir les cadavres.
D.H. Lawrence, 'Derniers poèmes' ('Last poems'), traduits par Lorand Gaspar et Sarah Clair, Gallimard, Paris, 1996.