Magazine Journal intime

Roman épistolaire – 12e échange

Publié le 24 juillet 2011 par Gintonhic @GinTonHic

Charles ! Charles ! Charles !

T’auras toujours ce côté — je cherche, je pèse mes mots, dix fois, vingt fois — ce côté parfois si innocent. Pas innocent dans le sens d’épais, mais innocent dans le sens d’inconscient. Ou bien, tu joues l’innocent. En fait, je n’ai jamais su vraiment ce que tu étais. Vingt ans plus tard, je me le demande encore. 

Tu fais semblant de savoir de quoi je parle quand je dis : « Avant tu sais quoi… », mais tu ne le sais pas vraiment. Tu ne te rappelles pas. N’est-ce pas ? Dis-moi… n’est-ce pas ? Tu ne te rappelles pas ?

T’as toujours été un esprit libre. Y’a pas de faute. Et je suis, moi aussi, en quelque sorte, un esprit libre. Mais ta définition de liberté n’a rien à voir avec la mienne. 

« Vivre et laisser vivre ! », je ne compte plus les fois où tu me l’as balancé au visage, et balancé, comme l’écho. 

Mais ton « vivre et laisser vivre » était le début du démembrement de « nous ». 

Parce que toi, à l’époque, tu voulais vivre ta vie, comme un célibataire. Faire ce que tu voulais, quand tu voulais, et surtout, avec qui tu voulais. Et tu t’achetais une assurance solitude qui, enfoncée entre deux coussins poussiéreux du divan, attendait ta prochaine réclamation. 

J’étais cette assurance solitude. 

Oui. C’est ce que j’étais pour toi. Du moins, c’est comme ça que je me sentais. 

Et je m’en suis haïs, tellement. J’ai enduré ce « vivre et laisser vivre » pompeux parce que….parce que… 

L’amour donne des ailes ? 

Eh bien, mon nom c’est : Parachute. Parachute fermé ! 

Tu te demandais, l’autre fois, pourquoi on disait « tomber en amour ». Voilà. Maintenant tu sais. 

Tu m’aimais follement, disais-tu. J’étais la seule, la vraie, l’unique. 

Et je t’ai cru. Je voulais te croire. J’avais besoin de te croire. Mais… 

C’était la torture au-dedans de moi. Parce que, moi, je ne partage pas. 

Appelle cela de la jalousie, de la possession, de l’insécurité. Dis que c’est vieux jeu. T’as beau. Ben, j’suis tout ça ! Pis ça ne changera pas ! Parce que c’est ça que j’ai toujours été. Mon erreur, c’est de ne pas te l’avoir dit. 

J’avais peur de te perdre. Mais tu étais déjà perdu. Je ne l’avais juste pas réalisé. Peut-être ne voulais-je pas le voir ? 

Puis, il y a eu cette fois, cette fameuse fois, où, en allant au sous-sol, je suis arrivée face à face avec une bouteille d’huile de massage. À moitié vide. Une bouteille que je n’avais jamais vue. Un massage, des massages, que je n’avais jamais reçus. 

Je suis restée longtemps à la regarder. Elle était là, assise sur une tablette. Pas vraiment cachée.  Comme si elle cherchait à se faire voir. 

Tu ne t’en rappelles pas, là ? 

À ce moment-là, ton « vivre et laisser vivre », je l’avais dans le cul ! Et profond, très profond ! 

C’était ça TON « vivre et laisser vivre » ! 

Pire, tu doublais l’audace à faire tes cochonneries dans NOTRE maison, dans NOTRE lit ! Et plus d’une fois encore ! 

T’aurais pu te payer un motel au moins. Non ! T’as fait ça. Dans notre maison. Sans aucun respect pour moi. 

Ça m’a presque tuée. 

Je sais, je n’ai rien dit ce soir-là. J’ai ouvert une bière que je venais d’aller chercher au sous-sol. Je t’ai juste regardé, droit, oui, droit dans les yeux. T’as regardé le sol. Tu t’es mis à rire avec ce petit hoquet que tu fais lorsque tu te sens embarrassé. Je t’ai tendu la bière. Tu l’as saisie. Mais je ne l’ai pas lâchée tout de suite. Tu as relevé tes grands yeux bleus. Tu savais que je savais.

Toi non plus, tu n’as rien dit. 

J’étais folle de toi. On s’aimait en malades, comme si la terre allait s’arrêter de tourner dans l’instant. 

N’étais-je pas assez ? Qu’est-ce que tu voulais au juste ? 

Ton « vivre et laisser vivre », et bien, je l’ai dans le cul ! Je n’en ai rien à foutre. Ni du tien, ni de n’importe quel autre. 

Quand je veux baiser, et bien, je baise. Mais c’est toujours clair avec l’autre. Pourquoi n’est-ce jamais clair avec vous, les hommes ? 

Vous manquez de guts ? Vous êtes trop chieux ? Trop vaniteux ? Où bien vous avez le sexe trop engorgé ?

Pire, vous êtes toujours là à chercher s’il n’y a pas mieux ailleurs : plus jolie, plus gros seins, plus beau derrière, et j’en passe. Finalement, vous n’êtes pas si loin de l’homme de Neandertal. 

J’ai mis du temps à comprendre. Mais je vais mieux. 

J’étais la bonne fille qui écoutait. Mais je m’oubliais. Et là, ça m’a coûtée cher. Très.

Un matin je me suis levée et, en passant devant le miroir de la salle de bain, une certitude m’est venue : j’étais prête à perdre tous les gens qui m’entouraient, même les plus près, pour ne plus me perdre moi-même. 

Alors, tu comprendras que je me contre fiche de tes histoires d’amour. 

Parles- moi de nous, et je t’écouterai. 

Et seulement là.


Filed under: Art sous toutes ses formes, Mes délires et autres folies, Non classé, Parlons-en, Québec, Roman épistolaire Tagged: amour, écriture, littérature, roman

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