Dans le cadre de mon stage dans une petite bibliothèque municipale, j’ai été témoin de l’arrivée de plusieurs dons plus ou moins importants de livres et BDs, suivis par la phase de sélection : livres qui seront mis en rayon immédiatement, livres que l’on y mettra dans quelques temps, livres que l’on garde en réserve en cas de demande spéciale ou d’expo thématique, et livres que l’on met au « rebut », c’est-à-dire qu’ils finiront par être jetés (ouvrages très vieux et/ou très abîmés, qui ne seraient jamais empruntés). Un don en particulier a attiré mon attention, celui de trois caisses complètes amenées par un homme et son fils. J’ai supposé qu’ils appartenaient à la grand-mère, décédée ou en maison de retraite, et cela m’a inspiré cette petite description de passage.
Nous avons bien vécu, cela se voit tout de suite. La vie nous a usés, mais cela ne vaut-il pas mieux que de rester tout propret, tel un Traité de métaphysique à l’usage des QI supérieurs à 300 qui ne sort jamais de son étagère ? Nous avons été de fidèles amis pour notre propriétaire, lui avons ouvert des horizons variés : l’univers de la pub, de la politique, de la seconde guerre mondiale, les langues – romans et guides de balades à vélo en anglais, guide de conversation et théâtre espagnol, grammaire et vocabulaire allemand, et même ce petit dictionnaire allemand/italien d’avant-guerre dont nous avons oublié jusqu’à l’origine mais qui parade parmi nous avec sa calligraphie gothique…
La plupart d’entre nous n’avons plus de valeur aux yeux de grand-monde maintenant que notre vieille amie est partie. Parce que nous avons vécu, parce que nous sommes trop intellectuels, trop spécifiques, trop datés. Mais ne l’oubliez pas au moment de nous laisser sur le bord de la route : bien plus sûrement qu’un journal intime ou un curriculum vitae, nous racontons une histoire.
écrit le 28/06/2011