Mythe de l’humanité, rêve inaccessible, l’immortalité est en passe de devenir pour l’Homme du 20e siècle l’ultime tabou à violer, n’ayant plus ni Dieu, ni religions, sinon celles séculaires de partis politiques qui n’en finissent plus de mourir, ayant transformé la démocratie en croisade des Albigeois.
L’Homme se meurt de survivre à un modèle de société qui s’éteint. Tournant le dos à son Histoire, courant éperdument derrière la chimère de l’Égalitarisme qu’il confond avec l’Équité, se prosternant devant les idoles du «politiquement correct» et de la transparence, au nom desquelles des inquisiteurs bien pensants trouvent régulièrement des « Chevaliers de La Barre » à se mettre sous la dent.
Hélas, Voltaire est mort et les plumes libres sont promptement réduites au silence dans un siècle où l’uniforme de la pensée unique a remplacé le bruit des bottes (c’est plus feutré), où les reality shows font le prime time et les émissions culturelles passent à l’heure où Morphée nous tend les bras, faisant la fortune de Nespresso en même temps que celle de John Malkovitch et George Clooney
Si Nietzsche avait annoncé la mort de Dieu, et Valery que toute civilisation est mortelle, c’est aujourd’hui que ces apophtegmes prennent tout leur sens.
À l’heure où la durée de vie des produits, d’une société d’hyperconsommation, décroît proportionnellement à la vitesse de création de nouveaux modèles à l’utilité identique, eux-mêmes plus rapidement remplacés par le « must » absolu de la nouvelle version.Par analogie, ils nous renvoient à la brièveté de l’existence, à la mise au rebut en état de marche, tout en immortalisant des besoins nouvellement créés.
Naguère, l’immortalité s’acquerrait en entrant dans l’Histoire ; transmise par l’enseignement, des bancs de la primaire à ceux de la terminale, où des profs passionnés ouvraient les portes de la mémoire collective à la vie des hommes illustres qui firent le monde: savants, artistes, guerriers, politiques et érudits, conférant à ces êtres autrefois de chair et de sang une immortalité qui ne les abandonne qu’une fois rayés des livres ou de la tradition.
L’immortalité n’est que dans la mémoire, un trou de celle-ci et c’est la fosse commune !
Pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé, toutes les civilisations ont eu leurs immortels, des dieux de l’Olympe à ceux d’Asgard, ils n’ont pas survécu à l’arrivée des religions monothéistes qui prirent leur essor en tournant la page des anciens dieux, et voient à leur tour la science tourner la page de leur existence. Elles n’ont pas encore disparu, mais s’estompent peu à peu emportant avec elles leurs préceptes.
Alors d’immortel, il ne reste plus que le nom, simple désignation qui ne peut en conférer la qualité, ni aux « immortels » de l’armée perse, ni à ceux qui en habit vert pénètrent sous la coupole.
Chez nous, ils sont partout, quel que soit le rang où la position.
Ils se veulent plus Prince que le Souverain, prétendent parler en son nom, agissent dans son dos, se proclament les maîtres de céans, sûrs d’une omnipotence et d’une infaillibilité que l’on veut bien leur prêter, indélébiles squatters invétérés, ils tournent et paradent sans fin, tels les chevaux de bois du carrousel.
Doués du don d’ubiquité, ils cumulent les fonctions pour le prestige, pour une gloire à la taille de notre pays, terrorisés à l’idée de ne plus exister « s’ils ne sont plus aux affaires », comme ils se plaisent à le dire.
Présidents, vice-présidents, membres de conseils, d’ordres, de fondations, d’administration, esclaves de leurs certitudes, jaloux de leurs prérogatives, cloîtrés dans l’Olympe de leur ego ou prisonniers de leur inanité, ils sont persuadés d’être les immortels de ce pays et comme dans la mythologie s’en sont attribués la liberté de jouer avec son destin et celui de ses habitants.
Entourés de courtisans sans courage et sans cynisme, qui se disent leurs amis en mendiant une miette d’attention et dont aucun n’ose murmurer à leur oreille "Respice post te, hominem te esse memento" ("Regarde autour de toi, et souviens toi que tu n'es qu'un homme")!