Magazine Journal intime

Tâches d'encre et doigts violets (conte, 1ère partie)

Publié le 30 juillet 2011 par Sandy458

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/82/Classroom_Horner_Avenue_School_1916.jpg

"Classroom with teacher's office in back, Horner Avenue School, Long Branch, 1916, Canada" 

wikimedia commons, domaine public

Vous êtes vous déjà demandé pourquoi vos grands-parents ont le regard subitement humide lorsque vous leur demandez de vous raconter leur enfance ?

Savez-vous pourquoi la simple évocation du carré de buvard et de la bouteille d’encre violette qu’ils utilisaient à l’école provoque un pincement au cœur pour ne pas dire un pincement au temps ?

C’est une histoire dans laquelle je vais vous emmener pour peu que vous acceptiez de fermer doucement vos paupières et d’ouvrir largement vos oreilles à mes paroles.

Imaginez que vous franchissez le seuil de la pièce où vous vous tenez pendant que vous m’écoutez. Vous empruntez l’escalier biscornu qui se situe devant vous et vous gravissez avec précaution les marches qui vous ramènent aux temps anciens.

Paliers après paliers, vous percevez ce qui a fait le monde de ces dernières décennies, du fracas des chutes funestes aux cris de liesse des libérations.

Continuez votre ascension jusqu’à la porte en bois cérusé et obligez votre main à vaincre son appréhension à tourner le bouton rond cuivré.

Le contact, bien qu’un peu frais, semble doux aussi.

Comme un galet poli par les caresses de la mer, le bouton de la porte sait se faire amical et s’invite au creux de la main…

Voulez-vous savoir  ce qu’il y a  de l’autre côté ?

Oui ?

Alors, continuez de prêter l’oreille à mon histoire…

Je reprends…

De l’autre côté, se trouve une sage salle de classe. Une odeur de poussière de craie flotte dans l’air.

Les fines particules blanches ont la douceur du talc. Une mince couche recouvre le mobilier.

Les chaises vides sont méticuleusement rangées derrière les pupitres, comme en attente dont ne sait quelle visite.

Les exclamations des enfants absents résonnent pourtant et ce ne sont que rires qui fusent, ricanements malicieux et soupirs de bonnet d’âne.

Ces démonstrations de vie et ses éclats enfantins vous semblent bien familiers tout à coup ?

Ne serait-ce pas ceux de vos grands-parents rajeunis de quelques décennies, captifs de ce temps béni de l’insouciance, des parties de billes et des cordes à sauter ?

Ecoutez comme ils ressemblent à vos propres cris de joies !

Faites silence maintenant et cachez-vous derrière l’armoire où Mademoiselle l’institutrice serre les beaux livres et les cahiers à corriger.

Ça commence par un léger cliquetis provenant du bord droit du tableau noir.

Les craies blanches dressent leurs cylindres lisses puis rampent sur l’ardoise en laissant derrière elles de belles courbes agrémentées de fines arabesques. Il y a des colimaçons artistes qui s’ignorent !

Les formes tracées s’accumulent et s’ordonnent. Des lettres ainsi dessinées, vous pouvez lire « Racontez vos dernières vacances… ».

Une craie, trop pressée et maladroite, se couche selon un angle incongru. Elle crisse sur le tableau noir au grand dam de ses camarades qui, saisies d’effroi, en tombent sur le sol de l’estrade avant de se briser net en deux parties.

Le Grand Prêtre de l’Anatomie, squelette de son état, aussi vénéré que craint par les jeunes esprits prompts à s’enflammer, dresse un doigt accusateur vers la craie coupable et lui intime l’ordre de « réparer ses dégâts sur le champ ! ».

Pendu à sa perche métallique, le fameux moribond agite ses longs doigts osseux, fait tressauter ses osselets et finit par se décrocher la mâchoire ce qui provoque l’hilarité générale de tous les pupitres d’écoliers.

C’est alors un formidable vacarme, épouvantable, à s’en boucher les oreilles en implorant grâce !

Les charnières grincent, les gonds sont prêts d’exploser, les tables craquent, s’ouvrent et se referment à toute volée.

Dans leurs entrebâillements, vous observez l’intérieur des ventres repus des pupitres, regorgeant de règles, de feuilles et de crayons sans oublier les plumiers et les gommes.

Soigneusement rangé, ce petit monde élitiste se trouve incommodé par cette agitation inconvenante. C’est que le matériel épistolaire se tient en haute estime et entend conserver son rang. Il est de la race des seigneurs écoliers et entend bien ne pas se mêler à la plèbe.

Faisant fi de la distance affectée affichée par le matériel d’écriture, les petits flacons d’encre violette dévissent lentement leurs bouchons métalliques.

1 tour, 2 tours, le liquide fluide au reflet aubergine, enfin libéré, s’échappe de sa prison de verre opaque en petits jets précis.

Là, ils se précipitent sur les cahiers de grammaire française, ici sur ceux de calcul, là enfin sur  les leçons de géographie maladroitement recopiées.

Dans la panse des pupitres, les papiers se tortillent, tentent d’échapper aux tâches d’encre et aux éclaboussures mais – peine perdue – ils se trouvent rapidement maculés.

A suivre...


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