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Quand tes géniteurs sont aussi tes tueurs

Publié le 01 août 2011 par Orangemekanik
Quand tes géniteurs sont aussi tes tueursEnfant, Bat avait vu son père s’acharner sur sa mère, la passer à tabac, la violer sous ses yeux, impuissant à la secourir. Adolescent, seul, envers et contre tout le reste de la famille qui préférait la version paternel visant à le décrédibiliser et à le faire passer pour affabulateur, pour un enfant plein d’imagination, il avait choisi de protéger son frère et sa petite sœur. Jeune adulte, une fois ses parents divorcés, sa mère libérée, il était décidé à en découdre avec ce père qui l’avait détraqué, fait passer pour mytho, humilié publiquement. Ce père qui avait volé son enfance. Si le jour de ses trente ans, il n’avait toujours rien reconnu des faits, il se flinguerait sous ses yeux. C’est à ce moment là que je l’ai rencontré. Quinze jours avant la date fatidique. De son anniversaire.
J’ai tout de suite vu qu’il était fou. Comme moi. Sauf que lui, c’était pas officiel. Il avait jamais fait d’HP*. J’en sortais. On était tous les deux des pulsars en détresse. En soif d’Absolu. Lui pour finir sa vie. Moi pour croire en la mienne. Il disait que j’étais sa chance. Ça me faisait drôle d’être la chance de quelqu’un. L’envie de ne plus mourir… de quelqu’un. J’allais pouvoir me rattraper. Le sauver. Lui… au moins ! Les suicidaires me fascinaient. Depuis mon père. Qui ne s’était pas loupé. Quinze ans auparavant. Après m’avoir violée. Entre Bat et moi, c’était la fusion. Mais la fusion de deux bombes à retardement. Le compte à rebours venait de commencer. J – 730. Deux ans de sursis. A s’aimer. A la folie. Pour de vrai. Dans le vrai sens du terme.
Eu égard à sa mère, et aux images qui le hantaient depuis toujours, Bat était très sensible à la cause féminine, la violence faite aux femmes. Et il se rattrapait. Également. De son côté. Toujours prêt à intervenir en vrai gentleman pour sauver la face de ces dames.  Raisonner ces Messieurs. Prodiguant conseils. Et bonne parole. La dernière fois je me souviens, je portais encore les vestiges de notre dernière petite altercation, derrière mes lunettes noires. Des amoureux se disputaient. Assez virulaemment. Dans la rue. Fidèle à lui-même, Bat avait traité le garçon de lâche. Et de tous les noms. Si bien que le gars avait fini par lui dire qu’il avait l’air de s’y connaître. De savoir de quoi il parlait. Et qu’il m’avait demandée ce que je cachais, derrière mes grosses lunettes. Et j’avais répondu : « Le soleil ». Et ça avait dégénéré. Comme à l’accoutumé. Pourtant, ce soir là, j’ai compris que tout allait changer. Que cette violence qui faisait partie intégrante de notre relation, et qui nous avait rassurés… cette violence qui avait rapproché nos deux Âmes écorchées, allait aussi… la désintégrer. Qu’il ne nous restait plus que ça. Plus que ça pour nous aimer. Plus que ça pour nous parler. Plus que ça pour faire l’amour, aussi. Qu’après, c’était la mort. Et qu’il était trop tard… Trop tard depuis deux ans. Trop tard depuis toujours.
Ce soir là, j’allais boire mon sang pour la toute dernière fois. Connaitre le gout qu’il avait, mêlé aux larmes salées qui coulaient sur mes joues au milieu du rouge plasmatique qui couvrait mon visage… et qui s’évanouissaient dans ma bouche. Ce soir là, elle avait atteint des sommets. Dans le gore. Et dans l’hémoglobine. J’ai d’abord cru que c’est moi, qui allais mourir. Étouffée. Étranglée. Ou le nez et les yeux à l’intérieur du crâne. Mais je m’en foutais. J’avais plus la force de me battre. Ni avec des coups. Ni avec des mots. Ni même avec des larmes. Je voulais juste me reposer. Ne plus penser. Que tout s’arrête. Dormir. Ne plus me réveiller. Jamais. Après une longue série de coups en tout genre, Bat m'avait finalement mise à terre par KO. A califourchon sur moi, d’une main il me maintenait allongée au sol, les doigts enfoncés dans mon cou et m’écrasant la gorge... de l’autre, il me menaçait de son poing colossal et tremblotant, hésitant à le mettre au beau milieu de mon visage. Ou sur le carrelage. Il disait : « Putain mais je deviens fou ?!... Qu’est ce que je fais ? Je te tue ? Je me tue ? Je nous tue tous les deux ? » Il avait les yeux plein de haine. Plein de rage. Pire que le jour où il m’avait tiré dessus. Par accident. Le jour où je l’avais quitté, et que j’étais revenue. Parce que même si ma peur était plus forte que mon amour pour lui, c’était ni avec, ni sans lui. Et qu’au pire ce serait sans moi. J’étais prête. Mais pas ce jour là. Ce jour là, quand je m’étais retournée, et que j’avais vu l’arme qu’il pointait sur moi, j’avais même pas lâché la bassine de linge que je tenais dans mes mains. Quand la balle était partie, j’avais même eu le temps de me dire que ça se pouvait pas que je meurs comme ça, en faisant le ménage. Que c’était grotesque. Comparé au contexte. A notre histoire. Je me disais que même dans la série la plus glauque, personne ne mourait devant sa machine à laver. Que ça faisait vraiment trop « fait divers ». Trois lignes dans la presse locale. Pas plus. Je me rendais même pas compte que si je pouvais encore penser, c’était parce qu’il m’avait loupée. Que la balle était dans le mur.
Non… Ce soir là, tout était différent. On était en bas. Dans la pièce qui jouxtait le garage. Une petite pièce à part, en dehors de l’appartement. Disons plutôt un petit jardin artificiel où on faisait pousser de la beuh. Un petit coin de Paradis où on se réfugiait rien que tous les deux. Sans Fifi. Mon colocataire. Qui venait de partir en vacances. La veille. Bat allait donc m'exploser la tête, quand on avait entendu des pas. Une voix derrière la porte :
« Tout se passe bien ? »
C’était ma vieille voisine. Du dessus. Il avait mis sa main sur ma bouche. Pour pas que crie. Mais je pouvais même plus parler tant il avait broyé mes cordes vocales. Mes amygdales. Il avait répondu : « Oui Madame ». Mais cette intrusion inespérée avait fait diversion et l’avait déstabilisé. Dans un dernier sursaut de survie, je l’avais alors poussé de toutes mes forces. Et j’avais couru à l’appartement. Fermé la porte à clé. Paniquée à l’idée qu’il revienne. Et toutes les fenêtres. Il était revenu à la charge, par celle de la cuisine. Comme dans un film d’horreur, quand tu t’y attends plus, mais que le gars, il se relève… plus vivant que jamais. Il avait fracassé la vitre. Ses mains étaient recouvertes de sang. Un sang dont il m’avait barbouillé le visage. Avant de me trainer jusqu’à la salle de bain. Et de me poster face au miroir. De force. D’une main, il me maintenait la tête par les cheveux très violemment pour que je regarde mon reflet bien en face. De l’autre, il continuait à m’étaler le sang comme un masque. Passant nerveusement du rire aux larmes.
Ce soir là j’ai compris que j’aurais beau l’aimer, il mourrait quand même. Que je pourrais jamais le sauver… lui non plus. Pourtant, le lendemain matin, quand il est parti, au petit jour, j’ai pas du tout compris que c’était pour toujours.

*HP : Hôpital Psychiatrique

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