Le regard perçant
La faim toujours plus grande
L’oiseau avance
Sur la vague en mouvement
Il lutte pour sa survie
Sa nichée
Quelque part
L’attend
Le temps qui passe
Est contre lui
Il est un seuil de non-retour
Où la vie se retire
D’avoir trop attendu
L’oiseau le sait
Il lutte
Il faut vivre
Dans la corne de l’Afrique
Les pieds nus
Dans le sable
Hostile
Sous le soleil
Implacable
La faim rivée au ventre
Un peuple fuit les armes
L’intégrisme religieux
La dictature
La misère
Une longue colonne de réfugiés
Avance
Maigre baluchon à l’épaule
De jeunes enfants dans les bras
Les autres qui se traînent
Certains s’effondrent en chemin
La marche se poursuit
Il faut survivre
Coûte que coûte
Défendre sa vie
L’arracher au désert
À chaque pas
À chaque souffle
De plus en plus court
De plus en plus rauque
Ils cheminent
Pas d’eau
La faim au ventre
Les traits tirés
Les jours se comptent
Sur le torse des plus faibles
Vingt quatre jours
Et quelques os de plus
La chair disparaît
La peau se flétrit
L’innommable se lit
Au fond des orbites géantes
Où des reflets meurtris
Doucement se retirent
Ici, la Terre aride
Ne possède aucun or
Ses fruits sont maigres
Ses gens aussi
Le monde les ignore
La pauvreté n’a pas d’intérêt
La misère noire
Comme leur peau
Est un fardeau insupportable
Mais le soleil continue de briller
Il brûle
Dans le blanc
Étincelant
De leurs yeux.
Il suffit de si peu
Pour faire naître l’espoir.
Réveillez-vous !
Ne voyez-vous pas la lumière,
Là,
Qui brille,
Dans le regard d’un enfant
Qui meurt ?
Quelle est donc sa couleur ?
Quelle est donc sa valeur ?
N’entendez-vous pas
La parole silencieuse
De la Vie ?
Ce cri muet qui laboure vos entrailles ?
Êtes-vous sourds ?
Que craignez-vous ?
Supporterez-vous encore longtemps
L’intolérable
Sous prétexte que ce fut
Et que ce sera toujours ?
Ce fut parce qu’on l’a bien voulu
Ce sera si nous le voulons !
Une bombe explose en Norvège
Œuvre machiavélique
Le drame est terrible
76 morts
Des milliers de roses
Le monde est bouleversé
Les journaux télévisés
Accordent leurs premières pages
La sécheresse explose en Somalie
Plus d’un million de morts annoncées
On en parle aussi, il est vrai,
Quelques minutes avant les sports
Entre la poire et le fromage.
Dois-je avoir l’impudence
De faire une règle de trois
Pour calculer la valeur d’une vie ?
« Amstrong je ne suis pas noir »
Chantait Nougaro
Non je ne suis pas noire,
Devrais-je en avoir honte ?
Quelle est donc la couleur de la vie ?
La couleur de la vie
C’est :
Celle du sang qui pulse
Celle d’un cœur qui bat
Celle de l’Être, quand il est libre
Étranger dans sa prison de chair
Tant que le monde se complaira dans l’illusion
Tant qu’il fera « de nos différences des inégalités »*
L’Être se morfondra
De ne pouvoir donner naissance
À l’homme
À l’humanité
Telle qu’elle doit être
Telle que le monde l’attend
Telle que la Terre la rêve
Telle qu’il est possible qu’elle soit.
Sur la vague en mouvement
L’oiseau plonge
Le poisson est rapide
Il prend refuge dans les profondeurs
Sur la côte
Dans les nids
Les oisillons attendent
Le silence est lourd sous le soleil
Les parents, meilleurs plongeurs,
Reviendront avec du poisson
Les autres ne trouveront au nid
Que quelques plumes
Bercées de vent
Sur une carcasse desséchée.
©Adamante
Et pendant ce temps là, la France dépense un million deux cent mille euros par jour pour faire la guerre en Lybie...
Berceuse pour un petit prince, de Somalie...
* une citation de Tahar Ben Jelloum