La fille qui allait faire repeindre son plafond par Jason Bourne (Full Metal Jacket in my kitchen)

Publié le 02 août 2011 par La Chose

Avec Loutre, on a déjeuné chez une de ses collègue de boulot, l’autre jour.
Le genre de collègue qui porte un uniforme et qui se met au garde à vous comme dans Le jour le plus long (ou La Septième Compagnie, selon comment tu ressens la chose militaire dans le dedans de toi).
Moi, les uniformes, j’avoue que ça m’a toujours un peu donné des boutons, mais c’est essentiellement parce que le docteur Pilchard, qui m’a opérée des végétations quand j’avais sept ans, en portait un, d’uniforme. Depuis, je sais pas, c’est peut-être un genre de refoulement lacanien pré-pubère qui refait surface ponctuellement, chaque fois que je vois un mec en uniforme je me mets à trembler comme une feuille en beuglant « Nan, pas les trous de nez, ça rentrera jamais! » (oui parce que pour les végétations, on te rentre l’équivalent d’une pompe à vélo en acier trempé dans les narines et on te l’enfonce jusqu’à la garde au fond de la gorge, c’est un peu comme dans Alien sauf que rien ne te sort par la cage thoracique, à la fin c’est par le larynx que tout repart à l’air libre).

Loutre a pas mal de copains militaires. J’avoue que ça m’a aidée, avec les années, à surmonter ma phobie, rapport au docteur Pilchard, aux végétations et au syndrome de stress post-traumatique, tout ça.
Par exemple, quand j’ai rencontré sa pote Bérangère, qui est sergent et qui décore ses machins kaki avec des gommettes en formes de coeurs en écoutant Joss Stone, ben tu me croiras ou pas, mais quelque part ça m’a un peu rassurée. Ou bien son copain André, qui a tiré deux fois dans sa carrière (la deuxième fois il s’est tranché le gros orteil avec une balle de Famas, quel déconneur cet André).

On était donc dans cette jolie petite ferme paumée dans la pampa armoricaine, Loutre, moi, Phlegmon et Ted Bundy. La copine de Loutre (appelons-la Salima) elle a des origines auvergnates, comme dirait Brice, et elle nous avait mitonné un tajine aux petits oignons. Dans la famille de Salima, c’est quand y’en a plusieurs que ça pose problème, alors pendant qu’elle faisait capitaine de l’armée française, ses frangins devenaient flics et CRS.
Anybref, on a rencontré le mari de Salima (appelons-le Bob, pour « Bob Morane contre tous chacals » et aussi « Bob le bricoleur »), qui ressemblerait presque à Clovis Cornillac, si Clovis Cornillac avait pas été moche.

Bob, c’est un peu le fils caché de Bruce Willis et de Steven Seagal. Le genre de type que tu largues en caleçon avec sa bite et son couteau au fin fond de la province de Zamora Chinchipe, et qui te fabrique une centrale nucléaire en quinze jours après s’être nourri d’anacondas et de caïmans crus. Comparé à Bob, Chuck Norris, c’est Benjamin Lancar perdu dans une soirée de l’Amicale des Nostalgiques d’Action Directe. Bob a fait des trucs un peu secrets aux quatre coins de la planète, le genre de choses dont on ne parle pas et qui impliquent des noms de code comme « cachalot priapique » ou « aigle presbyte » et des phrases du genre « les sanglots longs des automnes dans mon violon, je répète: les sanglots longs des automnes dans mon violon » (ou quelque chose comme ça). Bob, il fait du krav-maga comme d’autres font du vélo (moi non plus je savais pas ce que c’était, le krav-maga, au début). Bob, il aime bien partir à quatre heures du mat’ avec un sac à dos chargé de lingots en plomb et se taper cinquante bornes en footing, c’est son p’tit loisir à lui. Bob, c’est Jason Bourne, mais en vrai.

Moi, je mangeais mon tajine en me disant que Bob avait l’air très sympa et tout, et que peut-être j’allais finalement pas sortir mes blagues sur les barbouzes zoophiles et les sergents-chefs qui ont le Q.I de Mireille Mathieu (oui parce qu’entre-temps, j’étais allée sur Google et j’avais trouvé, à propos du krav-maga).
Après le tajine, on a roulé marché un peu autour de la ferme pour faire la visite. C’était mignon tout plein, y’avait un étang avec des canards et des grenouilles (maintenant y’a toujours l’étang, mais plus de canards, à cause de Ted Bundy, et moins de grenouilles, à cause de Phlegmon qui aime beaucoup la vivisection). Y’avait aussi un enclos tout neuf avec une cabane pour les chèvres (made in Bob), un poulailler (made in Bob), environ trois tonnes d’arbres proprement abattus et débités en bois de chauffage (made in Bob), un moulin du 17e siècle en cours de restauration complète (made in Bob), un four à pain du Moyen-Âge entièrement retapé (made in Bob) et deux ou trois bricoles qui avaient l’air de sortir du manuel du Parfait Petit Forgeron (made in Bob, qui fabrique des couverts comme Guy Degrenne mais en plus jolis).

A un moment donné, j’ai appris que Bob parle aussi huit langues mais qu’il n’a pas fait Langues Zoo Langues O’, bah nan, Bob il a appris tout seul, sur le tas. Je commençais à me dire que vraiment, il était sympa (et aussi un peu chiant, ok? Quand tu as passé six ans à ânonner péniblement que ton tailleur est riche, que Gretechen est schön et que Pedro est serviable, tu as limite envie de dire à Bob que Sancho est un connard, que le tailleur est cocu, que Gretchen est la fille de Magda Goebbels et que de toute façon, tu l’emmerdes). Bob lit Swinburne dans le texte quand il s’ennuie et il est incollable sur les institutions de la Première à la Cinquième République. Il collectionne les pièces gallo-romaines (pour les trouver, il relit Commentarii de Bello Gallico de Jules César, pas la traduction française de cette lopette de Jean Schumacher mais la version latine commentée par Cicéron, sinon ce serait moins rigolo).

Bob, il commençait sérieusement à me courir, avec son air de pas y toucher et son Q.I à 230, sans parler de tout ce qu’il sait faire avec ses paluches, ce con.

Quand Loutre a battu des mains comme une otarie nymphomane en voyant les poutres apparentes superbement remises en état par Bob (quel enfoiré) dans le salon de la ferme, j’ai négligemment fait remarquer que nous aussi, on allait faire des travaux de rénovation dans notre maison, même qu’on allait transformer notre sous-sol pourri qui sent la chaussette et la pisse d’Eva Braun en salle multimedia du feu de Dieu, où je pourrais enfin jouer à Grand Theft Auto et écouter Prodigy avec le volume réglé sur « carbonisé » sans me faire traiter de hippie dégénérée.

- Besoin d’un coup de main? a demandé Bob.
- Nan, j’ai dit.
- Owé tro génial, a dit Loutre.
- C’est quoi, le projet? a demandé Bob.
- Waka waka eh eh, j’ai dit.
- Casser des cloisons, a dit Loutre.
- Je peux faire, a dit Bob.
- Construire une salle de bain, a dit Loutre.
- Je peux faire, a dit Bob.
- Zamina mina zangalewa, j’ai dit.
- Changer les radiateurs, a dit Loutre.
- Je peux faire, a dit Bob.
- Con te partirò paesi che non ho mai, j’ai dit.
- Ta gueule, La Chose, a dit Loutre.

A la fin, c’était décidé, Bob allait nous filer un coup de main pour le sous-sol, Loutre était extatique et moi j’avais envie d’éventrer un chaton.

Sur le chemin du retour, comme je parlais pas beaucoup (sauf pour traiter tous les automobilistes qu’on croisait de connards forcément bourrés et encartés au Front National), Loutre m’a balancé un coup de coude amical.
- Allez fais pas la tronche, Lucette, ce type est tellement génial! C’est typiquement le genre de mecs que tu adores, avoue.
- Nan, j’ai dit en reprenant mon souffle (Loutre ne mesure pas sa force, c’est pour ça que j’ai parfois des côtes un peu cassées).
- Mais si, c’est juste que tu crèves de jalousie parce qu’il parle plus de langues que toi, qu’il bouquine encore plus que toi et que lui, il sait planter un clou sans se trouer la paume. Et ça te fait mal au bide qu’il ait été dans l’armée, vu que tu prends tous les militaires pour des nazis bas de plafond qui écoutent Les petits chanteurs à la Croix de fer en buvant de la 8.6…
- Ta mère aurait pas fauté avec un vautour, des fois?
- Give me a smile, bitch, tiens, regarde, il m’a donné ça pour toi.
- C’est quoi, sa liste de courses? Il veut que je passe lui acheter une édition originale du Traité de la réforme de l’entendement de Spinoza?
- Nan, c’est un texte qu’il a pondu l’autre jour en allant acheter du pain. Je lui ai dit que tu écrivais, il a trouvé ça super, il a un roman de mille pages sous le coude, il voudrait bien avoir ton avis dessus.
- Je vais buter ce type.
- C’est ça.

En vrai, je l’ai lu, le texte de Bob. Ca s’appelle « Terroirisme ». Tiens, je te le colle là, en dessous.
En vrai, je suis plus vraiment emmerdée qu’il vienne  casser des murs dans ma maison.
Limite, je crois que je vais lui payer l’apéro et devenir son amie sur Facebook.

J’ai quitté la boulangerie et sa déco 1900 avec ma baguette en carton. Dans trois heures, elle sera aussi sèche que son papier publicitaire où est inscrit en gros le mot « Terroir ».
Je verse un peu de poudre chocolatée (tout est dit) dans une tasse trop épaisse au décor de vieille vaisselle paysanne et repose la boîte en plastique aux couleurs criardes. 
Parfois, je me gratifie d’une brioche Vendéenne à l’ancienne déjà tranchée qui semble devoir son éphémère intégrité à une formule chimique. Je n’essaye plus d’en beurrer les tranches car elles disparaissent littéralement sous le couteau tant elles se désagrègent (comment faisaient les anciens ?). Je me console en me disant qu’au moins, demain matin, la brioche aura conservé tout son caractère friable et sans saveur.
A midi, je ferai une salade de tomates d’eau, l’unique variété que l’on trouve désormais en supermarché, et un poulet fermier d’élevage presque pas en batterie, super facile à désosser.
Je l’accompagnerai avec des frites au micro-onde, c’est pas terroir mais de toute façon, les frites du terroir n’existent pas encore.  C’est pratique, elles sont rangées dans un casier en carton, chacune occupant une alvéole, comme un panier de roquettes de LRM BM21 ou « orgues de Staline ».
J’aime bien l’analogie, à défaut de faire « terroir », ça fait « vintage ».
Ils devraient imprimer les emballages en vert armée avec une étoile rouge, ça boosterait sûrement les ventes chez les bobos, cocos, mythos (et neuneus).


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