Le Festival du film de Locarno s’ouvre ce mercredi 3 août. 64 e édition que marquera, entre autres hommages, un léopard « à la carrière » du plus grand comédien suisse vivant.
Locarno pas assez glamour ? Locarno manquant de lustre et de paillettes ? Locarno trop chiche en stars ? C’est ce qu’on a souvent reproché à un festival qui n’a cessé pourtant, ces dernières années, de chercher à se faire plus attrayant sans trahir son «âme » voué à la découverte.
Or l’édition qui s’ouvre, ce soir, avec « le » blockbuster de l’été (lire notre page cinéma), Super huit de J.J. Abrams, verra également défiler quelques « monstres sacrés » du cinéma contemporain, de Leslie Caron à Claudia Cardinale, ou d’Isabelle Huppert à Gérard Depardieu, notamment. Et parmi ceux-là : Bruno Ganz, figure mythique du théâtre allemand et du cinéma mondial.
Septuagénaire cette année, Bruno Ganz fête aussi un demi-siècle de présence continue sur la scène internationale. On peut rappeler alors qu’avant ses débuts au théâtre, Bruno Ganz fut un petit Suisse comme les autres, ou presque. Né en 1941 à Zurich dans un milieu d’Helvètes moyens, il eut d’abord à affronter un père qui ne voyait pas d’un bon œil cette lubie de comédien, à moins de l’être «à côté » d’un métier digne de ce nom. Son paternel lui trouva donc une place d’apprentissage de peintre en bâtiment… à laquelle il ne se présenta jamais, préférant rejoindre les comédiens allemands souvent fameux que la capitale alémanique avait accueillis pendant la guerre.
Dès ses vingt ans, ensuite, le jeune acteur se retrouva à Berlin où il allait participer, avec Peter Stein, à l’aventure de la Berliner Schaubühne. Dix ans plus tard, il était sacré acteur de l’année pour son rôle dans une pièce de Thomas Bernhard. Quant au cinéma, ce fut en 1967 qu’il y vint dans Haut les mains de Jerzy Skolimovksi, prélude à une carrière marquée par le non conformisme et la recherche de qualité.
Avant-gardiste alors ? Pas exactement. En tout cas pas intello sectaire ! Disons plutôt que rien de ce qui est humain n’est étranger à Bruno Ganz, qui fut l’ange Damiel dans Les ailes du désir de Wim Wenders, et le démoniaque Adolf Hitler dans La chute d’Olivier Hirschbiegel.
Avec autant de puissance que de maîtrise intelligente, ce comédien venu du théâtre est de ceux qui n’ont pas besoin de «surjouer» pour imposer leur présence tout en se coulant dans les personnages les plus divers.
Au Festival de Locarno, en 2006, on le découvrit ainsi en grand-père anarchisant dans Vitus, de Fredi M. Murer, puis on le retrouva l’an dernier en vieil amant émouvant dans La Disparition de Giulia de Christoph Schaub.
L’ensemble de sa filmographie associe en outre son nom à ceux des plus authentiques créateurs du 7e art, d’Eric Rohmer (La Marquise d’O) à Théo Angelopoulos (L’éternité Et un jour) en passant par Alain Tanner (Dans la ville blanche), Francis Ford Coppola (L’Homme sans âge) ou Volker Schlöndorff (Le faussaire). Son honnêteté intellectuelle l’a amené à refuser, en 1993, d’incarner Oskar Schindler dans la fameuse Liste de Schindler de Spielberg, alors qu’il a accepté de se mettre dans la peau d’Hitler pour une interprétation dénuée de toute complaisance.
Si le comédien a été gratifié des plus hautes distinctions, l’homme Bruno Ganz est resté aussi simple qu’ironiquement débonnaire, tel qu’il apparaissait d’ailleurs dans Vitus. Autant dire qu’on se réjouit particulièrement de voir ce très grand Monsieur du cinéma d’auteur monter sur la scène de la Piazza Grande, le 11 août prochain, pour recevoir un léopard « à la carrière » avant la projection en première mondiale de Sport de filles de Patricia Mazuy, film français dans lequel on le retrouve en entraîneur équestre de légende.
Enfin, nous retrouverons Bruno Ganz dans d’autres films projetés cette année à Locarno, à commencer par La provinciale de Claude Goretta, gratifié pour sa part d’un léopard d’honneur, mais également La Marquise d’O de Rohmer, La Chute déjà citée et Le couteau dans le tête de Reinhard Hauf, illustrant autant d’aspects de l’immense talent d’un véritable médium-interprète.