Le correspondant

Publié le 14 août 2011 par Cathy Reinold

Le correspondant

Il arrive la nuit que je ne dorme pas durant des heures.

Autrefois je me retournais comme une folle dans mon lit.

Et puis je me suis mise à inventer des lettres

Pour des gens lointains et gentils, moi quI ne connais personne.

Maintenant je vois dans le noir, comme aux cinémas de

   campagne,

Des signes sur l’écran parmi des poussières d’étoiles :

C’est moi qui parle, ainsi qu’un champ de marguerites fleurit.

Si je voulais je crois que je pourrais en faire un livre,

Et mes rêves aussi mériteraient d’êtres décrits.

Je descends de grands escaliers, en longue robe blanche ;

Des personnes très bien m’attendent tout en bas des marches :

Ah nous avons reçu votre lettre, ma chère… Il est minuit.

On s’éloigne en dansant sous les arbres qui s’illuminent.

Passent sans aucun bruit de profondes automobiles.

Les boulevards touchent le sable de la mer. Je ris,

Et c’est frais dans mon col de renard couleur de lune.

(Vous êtes là, ramassé sous le mur à l’ombre courte,

Comme au verger d’enfance où je n’ai pas osé pousser un cri.)

Jacques Réda, Récitatif, Gallimard, 1970.