Parmi les potes, Thibault est vraiment transparent.
Je ne suis pas sûr que ça l'arrange.
Ni que ça le dérange.
Avec un type transparent, il m'est difficile de trancher.
Je me demande si lui-même n'essaie pas de ne plus être invisible.
Pour se faire une opinion.
Car, depuis peu, Thibault prend de drôles d'initiatives.
Il élargit son vocabulaire.
Jamais hier, il n'aurait utilisé l'adjectif "révolutionnaire".
Aujourd'hui, il l'a fait.
Jamais hier, Thibault n'aurait osé dire "Le monde marche sur la tête".
Ce matin, il l'a dit.
Lui qui, en compagnie des potes, se murait dans un silence têtu.
A midi encore, Thibault, en leur présence, se taisait.
C'était au marché, où les potes prenaient un verre.
Thibault ne consommait rien, évidemment.
De peur de se distinguer.
De se faire remarquer.
Quand deux nénettes sont passées.
A ce moment précis.
Un pote a questionné la table : "Bon, c'est bien beau de vouloir manger du poisson, mais quoi, comme poisson ?".
Un autre a répondu : "De tout, style bouillabaisse, ça vous va ?".
Thibault ne disait rien, ne buvait rien.
Mais il a ouvert la bouche : "On connaît la musique".
Le gars favorable au style bouillabaisse l'a mal pris.
"Pour une fois que tu l'ouvres, toi…".
"Carpaccio de sirène", a rétorqué Thibault.
Quand je vous dis que Thibault prend désormais des initiatives.
L'autre groupie du style bouillabaisse en est d'abord resté baba.
Puis, méchant, il a marmotté : "Ça swingue, tu crois ?".
Méconnaissable, Thibault ne s'est pas démonté.
"Comme le chant des thons".