Ma vieille, faut qu'on se parle. Oui, toi, Miss Couche-qui-déborde-dans-son-lit. Je serai franche (et cruelle, ça va de soi): j'en ai marre de changer tes couches. Presque deux ans que je le fais sans rechigner et parfois même avec le sourire. J'en suis devenue une experte: pour moi, les couches souillées n'ont plus aucun secret. Je peux même prédire l'avenir en regardant le contenu de cette chose diabolique. Je m'exécute maintenant les doigts dans le nez (c'est mieux pour l'odeur). Je te demande donc de faire preuve d'une coopération plus active que simplement m'indiquer qu'un pipi ou un caca se trouve collé à ton postérieur par l'intermédiaire de ce machin blanc qui te pend au cul.
Tu vois, mon désespoir est tel que j'en cauchemardise la nuit. Je rêve que je suis pourchassée par des milliers de couches en furie (pleines, évidemment) et je me réveille bien souvent en sueur et paniquée. Parce que je sais très bien que c'est ce qui m'attend si tu n'utilises pas fréquemment le petit pot quand ton petit frère osera se pointer le nez hors de mon utérus. Je vois déjà les couches se suivre (sans se ressembler, au moins, y'aura de la surprise) d'heures en heures (si on compte en plus celles que je porterai les premiers jours après le désastre naturel que subira mon périnée).
J'ai pris conscience de la gravité de mon cas à ma dernière tournée à la pharmacie (où, telle une alcoolique qui guette l'ouverture de son bar favori, j'arpente les allées dès l'ouverture, détournant vivement mon regard des cosmétiques pour me concentrer sur l'essentiel: les couches et autres articles pour bébé). J'étais dans la section des protège-popotin-pour-enfants-pas-encore-propres lorsque mon regard a croisé celui des couches-culottes. Le coup de foudre, je te dis. J'en ai pris un paquet, enthousiaste à l'idée que cela puisse te guider d'un pas ferme vers l'autonomie de l'évacuation des déchets corporels.
J'ai vite déchanté. Même après t'avoir expliqué comment enlever toi-même la couche-culotte pour ensuite déposer ton arrière-train royal sur le trône des petits enfants, tu refusais catégoriquement d'obéir. Tu préférais endurer ce machin imbécile tout détrempé, dont le surplus se répandait joyeusement sur mon plancher de cuisine fraîchement lavé, plutôt que d'obtempérer à un ordre pourtant prononcé avec tendresse. Ne te demande pas pourquoi les couches-culottes pourrissent maintenant sous la table à langer. Elles sont inutiles (je te l'avais bien dit que je serais cruelle).
J'ai donc opté pour la simple culotte. Oh! Quelle douleur mon coeur a dû endurer en te voyant jouer gaiement dans le salon et dans la flaque d'urine répandue à volupté jusque sous le canapé! Quel découragement m'a envahi quand je t'ai vue gambader sur le terrain avec un petit paquet sautillant et odorant te pendant au derrière. J'ai dû rincer et laver au moins deux cent fois tes petites culottes depuis ce jour fatidique où l'envie m'a pris de faire de toi une enfant de petit pot. Oh, bien sûr, j'économise malgré tout sur les couches. Le seul hic réside dans le fait que la quantité de papier de toilette et de savon à lessive a quintuplé depuis que j'ai pris mon épée de combattante de la couche souillée. Parce que, ça va de soi, le principe de s'essuyer avec le papier, tu l'as très bien compris. Tu n'as pas saisi par contre qu'il faut d'abord uriner pour avoir l'ultime droit d'utiliser le joli rouleau que tu affectionnes particulièrement pour ta collation. Il n'est donc pas rare de te voir sortir de la salle de bain, le sourire fendu aux oreilles et le papier hygiénique te sortant du derrière. Sans oublier que la musique de fond ces temps-ci est celui que fait l'eau de la toilette lorsqu'évacuée par ta petite main qui a rapidement saisi le principe d'appuyer sur la clanche pour tout faire disparaître.
Bébé fille, ouvre bien tes petites oreilles sélectives. Oui, celles que tu as de chaque côté de ta tête et qui savent déceler le moindre petit bruit de sac de croustilles qui s'ouvrent, mais ne discernent pas toujours les non fermes et catégoriques de ta mère. Écoute attentivement cette mise en garde.
Tu as deux mois pour comprendre le principe du pipi dans le pot. Une fois ce laps de temps écoulé, je n'aurai guère le choix de me venger. Et tu sais que je suis plutôt du genre rancunière. Pense à la honte que tu éprouveras le jour où j'exhiberai fièrement des photos de toi sur le petit pot au premier copain que tu ramèneras à la maison...
Et tu sais très bien que j'en suis capable...