De la Chine [III]

Publié le 22 août 2011 par Voilacestdit

 

Un nouveau post de mon fils Alexandre poursuivant son tour du monde : un regard peu complaisant sur la Chine...

La Chine s'est éveillée. Se lèvera-t-elle ?

La Chine s'est bel et bien éveillée. Mais se lèvera-t-elle ?


Le pays suinte d'un absolu chacun pour soi (et notons que vivant aux Etats-Unis, il m'en fallait une certaine dose pour le remarquer). En dehors des zones reculées de l'Ouest, c'est partout la foule, une foule compacte, agressive, qui joue des coudes et des réseaux de relations, des opportunités trop tentantes de la croissance folle, de la course vers le fric. L'ubiquité elle-même de ce sentiment est étonnante : on peut lire la presse économique et politique chinoise, parler avec les gens, ou tout simplement essayer de marcher dans une rue, on ressent cet écrasant chacun pour soi.
Dépité, je décidai de ne pas réagir précipitamment. La fatigue du voyage après sept mois de route, peut-être ? Ou bien la nostalgie inconsciente de "ma" Chine de 1996, si charmante et amusante ? Enfin, j'ai repris contact avec mes amis chinois de mon stage ouvrier à Qingdao en 1996. Ils étaient ouvriers ou techniciens à l'époque, ils sont aujourd'hui chefs d'entreprise, commerçants, employés... Avec eux, pas de langue de bois. Et à ma grande stupéfaction, mon ami m'a décrit exactement ce que je suspectais.
Que cela nous plaise, ou non, la France est en 2011 largement plus communiste que la Chine. Prenons l'exemple de l'assurance santé. La Chine avait un système de santé certes médiocre, mais égalitaire. Si les moyens manquaient (pas de haute technologie), les soins étaient accessibles à tous et gratuits. Aujourd'hui, les bons médecins sont partis travailler pour des cliniques privées aux tarifs exorbitants, même aux standards occidentaux. Le système public s'est lui écroulé, avec des attentes de 3 ou 6 mois pour une consultation rapide et incertaine. 1% de la population reçoit des soins de première qualité. Les autres n'ont quasiment plus de soins.
Dans un autre registre : l'aménagement des villes. Il fallait fluidifier une circulation devenue impossible malgré toutes les mesures déjà prises (notamment jours alternés plaques d'immatriculation paires/impaires... du coup de nombreux officiels, y compris ceux de la Croix Rouge, ont DEUX voitures de fonction...). Pour éviter que les piétons et cyclistes débordent sur les routes, les Chinois ont tout simplement bordé toutes les artères de barrières d'un mètre cinquante de haut. Conséquence pour le simple piéton : traverser une simple route peut demander un kilomètre de marche (jusqu'au prochain tunnel ou pont) et trente mètres de dénivelé. Cela dans une atmosphère viciée (on ne voit le ciel que quelques mois par ans à Pékin ou Shanghai). Tout déplacement à pied devient très pénible. Mais celui qui conduit son 4x4 climatisé peut aller un peu plus vite... La règle du 1%/99% est encore vraie.

Je sais que le fossé entre les riches/favorisés/amis du régime/financiers et le masse du peuple est croissant partout dans le monde, y compris, bien sûr, en France. Je ne l'ai vu nulle part aussi visible qu'à Jakarta, Kuala Lumpur ou Manille, où l'on a communément dans le même champ de vision des boutiques Louis Vitton-Gucci-etc. qui font plus de chiffre que sur les Champs Elysées et des enfants affamés. (Vous ne verrez jamais ça en Chine, parce que même si il avait des enfants affamés, les autorités ne les laisseraient jamais pénétrer dans les villes.) Si ce fossé est moins visible en Chine, il est massif, structurel, et menaçant. Je crois qu'il constitue évidemment le terreau de la révolte.

Quel en sera le germe ? La révolte ne naîtra pas d'une aspiration à la démocratie. Je ne crois pas que Tiananmen se reproduira ; l'élite étudiante est promise à un riche avenir, pourquoi risquerait-elle de tout perdre ? Non, la révolte naîtra de ces milliers de soulèvements locaux qui sont écrasés en toute discrétion chaque année. Jeune fille violée par le fils d'un notable local, et qui finit par se suicider devant l'étouffement de l'affaire, mineur de minorité ethnique mongole écrasé volontairement par un chauffeur de camion Han qui le traîne sur 300 mètres, expropriations au profit de projets immobiliers louches... Conséquences de la corruption locale généralisée, ces injustices provoquent de violents coups de colère, toujours réprimés à temps. Mais qu'adviendra-t-il quand le peuple n'aura plus rien à perdre ? Et que les autorités n'arriveront pas à couper les communications à temps ?

Si j'étais secrétaire général du PCC, je m'inquiéterais un peu moins des rassemblements de 10 personnes sur la place Tiananmen et des intellectuels pro-démocratie. Ce n'est pas ça, la menace. La menace, c'est la corruption, l'injustice. Ce sont de toutes petites choses. Si les autorités n'arrivent pas à les combattre, ce sont ces petites choses qui embraseront le peuple un jour. Les révolutions arabes sont parties d'un marchand de fruits humilié par une policière en Tunisie...