Entre l’orage et la chaleur, les Esprits sont éteints, c’est à peine s’ils ont réagi lorsque j’ai sorti le grand livre de contes à s’endormir heureux.
Mais ils sont là, l’habitude ? J’aime à penser que non, la tendresse plutôt, le bonheur d’être ensemble.
Le livre pèse plus lourd ce soir, les pages tournent plus lentement, comme alanguies elles aussi. Tout n’est que torpeur. S’abandonner est assez agréable finalement, il est doux de s’appesantir en goûtant la joie de l’instant, on oublie qu’il passe.
Un courant d’air décide pour nous de l’histoire, il n’y a pas à discuter, le livre est ouvert et avec lui, pas de retour en arrière.
Il nous a concocté une aventure bucolique ce soir.
Un jardin fleuri au parfum d’été apparaît sur la page, tout se met à vibrer, stridulations, souffles courts, herbes qui crissent, le livre se met à chanter.
Cela lui arrive parfois, quand nous abordons le domaine enchanté de ce qui se cache derrière le premier regard, vous savez, celui des apparences.
Ici une mouche, mais est-ce bien une mouche, ne serait-ce pas plutôt une fée ? voyez, ses yeux immenses, elle a quelque chose d’irréel, quelque chose d’un ailleurs qui nous frôle et nous fait frissonner malgré la chaleur.
De sa longue trompe, elle se rafraîchit au nectar d’ombelles blanches et parfumées qui se balancent doucement sous la brise.
Les esprits observent en silence. Ils absorbent la fraîcheur de l’image et semblent s’y ressourcer.
Puis soudain, l’humour n’étant jamais loin de la profondeur, voilà que s'élevant d'un arbre à papillon, une voix s'écrie :
Je te vois
toi
oui toi
qui te caches
Tu fais mine de ne pas bouger
mais je ne suis pas dupe
Je te surveille
du coin de mes facettes
car j'ai l'œil.
Tout va bien
tu as l'air d'un bon bougre !
Rassure-toi
je ne m'envolerai pas
le nectar est trop bon
et si tu fais de moi
une star...
Puis sans transition, l’air s’électrise soudain d’un vibrato de miel et de soleil.
Qui est-elle cette déesse aux ailes plus transparentes que la vérité dont le chant nous ensorcelle ? Un peu de nous, un peu de rien, un peu de tout.
Elle est, comme nous sommes, offerte à la vie.
Son chant raconte, sans mot, les couleurs d’un paradis oublié et provoque un bien curieux écho au fond de notre âme, tant, que de la rosée perle au coin de nos yeux et que l’image se brouille.
Il faut savoir accepter l’impermanence, se couler dans les éléments et accepter de baisser les paupières.
Alors, quelle féerie ! nous voyons le monde disparaître dans une goutte d’eau comme s’il revenait à sa source et nous ramenait à la naïveté de notre premier jour.
Comme il est bon parfois de regarder avec les yeux du cœur !
Quand la brume s’estompe, le paysage s’est transformé, il nous parle d’un temps où les lettrés étaient versés dans les arts et s’exprimaient aussi bien par le pinceau que par la plume, tout là-bas, loin, dans ce merveilleux pays de Chine.
Tout est paix, tout est harmonie, ici l’esprit épouse la nature, il se fond en elle pour nous en offrir la substantifique moelle.
Le livre nous a donné à goûter à trop de beauté de ce soir, cela occupe tout nos espaces intérieurs, les Esprits et moi avons besoin de repos pour laisser se décanter les choses et en filtrer l’essence.
Alors, parce que c’est un sage, le livre se referme de lui-même, dans le silence.
Les Esprits ont fermé les yeux, ils méditent.
Il est temps de tirer les rideaux.
©Adamante
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