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Maruschka (post-Atarɐxe)

Publié le 23 août 2011 par Banalalban

Tu as une bête sous la peau Maruschka. Je dis « tu as une bête sous la peau Maruschka » et je regarde très sensément courir cette bête sous ta peau. Je connais aussi bien cette bête que ta peau : je les sais très bien toutes les deux.

Sous la mandoline accrochée sur le mur à l’est, sur le secrétaire, sont posées les clés de la voiture. Tu as pris la bagnole hier soir : je le sais car ce matin le moteur était encore chaud. La question est alors, Maruschka : « Où es-tu allée hier soir ? » puis : « Qu’as-tu voulu faire hier soir, Maruschka » ? « Qui as-tu vu » ?

Je regarde très indécemment courir la bête sous ta peau Maruschka. Cet animal s’inscrit en toi comme je m’inscrivais aussi en toi, avant, Maruschka. Cette  bête c’était en un sens assez bien défini, moi. Qu’est-il arrivé hier soir ? Pourquoi as-tu pris la voiture ? À qui as-tu rendu visite ?

Depuis quand ne nous parlons-nous plus ? Que s’est-il passé que nous n’ayons vraiment admis ? Hier, j’ai pris le bus et tout le temps du voyage j’ai pensé : « Nous ne parlons plus du tout, Maruschka et moi ». Qu’est-ce que cela peut-il faire, un couple qui ne communique plus ? Puis un peu après : « Est-ce si grave » ? Car il est bien une chose qui m’est apparu durant ce trajet en transport en commun : ton silence, et bien je m’en fous. Il ne m’empêche pas de dormir. Il ne me préoccupe pas tant que ça, je m’y suis fait. C’est comme certaines des quelques imperfections qu’a ton corps : je me suis habitué à leur contact sous mes doigts (les grains de beauté boursouflés, la cale sous ton coudes («Tu as les coudes secs, tu devrais mettre de la crème ») ou bien encore l’os de ta hanche qui sort étrangement plus que l’autre (« L’os de cette hanche sort plus que l’autre » et « C’est obscène »).

Tu as pris la voiture hier soir peut-être aussi pleurais-tu au volant (je n’ai pas fouillé tes poches pour vérifier l’existence validée d’un mouchoir en papier souillé dans son fond). Si tu t’y étais bien mieux prise, à cause du chagrin et de l’aveuglement de tes larmes, tu aurais pu avoir un accident. Comment peux-tu être si paresseuse ? Ta dépression ne te sert donc que si peu…

Trouve des excuses. Apitoie-toi. Fais ton repli. Encastre-toi dans ton mutisme. Ne reviens pas. Reste là-bas. Énuclée l’ici.

Qui as-tu vu hier soir ? Qui était-ce ? Était-ce un « lui », un « elle », un « ça » ? Lui as-tu parlé de moi ? De cet animal sous ta peau ? Qu’as-tu trouvé à raconter qui ait du sens ?

Si je te regarde, tu te fanes, alors je ne croise pas du fer avec nos yeux. C’est inutile et ça ne sèche pas tant que ça.

Je te vois attachée telle que tu es là, nue. C’est très vrai sans doute parce que ça l’est. Tu ne dis pas un mot. Tu ne pleures même pas. Par habitude et rudesse, ardemment, tu te pâmes un peu distraitement. Les liens, c’est moi qui les aie mis en forme de croix tout autour (tes seins remontent et les contournent, ta peau se coince, bleuit, rosit, et les ajourne : ton corps fait semblant de s’échapper, par indolence). Je dis : « Oh, regarde, ta peau se coince, bleuit, rosit » et tu acquiesces gentiment en dedans du bâillon. Dans un coin, le lévrier attend et sur le secrétaire, sous la mandoline accrochée au mur, un sablier s’occupe à décompter le temps nonchalamment. Je sais ce que j’ai à faire : je prends un verre et je le pose renversé sur ta peau, emprisonnant la bête qui y court dessous. Et, à la façon dont on ferait une coupe au bol, je lacère la chair tout autour du verre. La bestiole s’excave, tombe au sol et y bave mollement. C’est notre enfant, je le reconnais : il est dans un même sang. Toi, moi alors que lui seul luit dans la flaque translucide et rougie.

Au pire, nous en referons un autre et tu retourneras, tout de la même façon, voir celui ou celle que tu as vu hier soir comme si de rien n’était.

Tu avais une bête sous la peau Maruschka et je l’ai enlevée. Je disais : « tu as une bête sous la peau Marcuschka » et je regardais très sensément courir cette bête sous ta peau. Je connaissais aussi bien cette bête que ta peau : je les savais très bien toutes les deux. Puis tu me dis : « je t’aime tellement » et je recouds ta peau, très câlinement.

Et tout cela, inlassablement.


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