Magazine Nouvelles

L'incroyable destin de Clarisse Manzon (26)

Publié le 23 août 2011 par Mazet

L’incroyable destin de Clarisse Manzon (26) : le procès des fantasmes.

L’audience reprit le lendemain avec le récit des hallucinations qui hantaient les esprits depuis le 20 mars. Trois cent vingt témoins, dont deux cent quarante-trois à charge devaient être entendus. Pour faire bonne mesure, le président usa de son pouvoir discrétionnaire pour en appeler une centaine de plus. On se préparait à voir ainsi raconter à la barre, la multitude des fantasmes modelés par les  peurs et les haines villageoises qu’on croyait enfouies. Rose Féral, tenancière du « bouchon » qui avait servi de point de ralliement aux comploteurs peu avant leur forfait, décrivit l’assemblée des hommes sombres qui avaient levé le verre à la réussite de leur sinistre entreprise. M. Albène fit surgir ces « ombres ›› qui l'avaient assailli dans la nuit du crime. Le cabaretier Delmas et sa femme plongèrent l’assistance dans l’épouvante en évoquant le cortège macabre qui avait défilé sous leur fenêtre en proférant des menaces. Un témoin parla des coups de bâton qu'un fantôme lui avait assené, un autre du canon de la carabine qu' « un homme grand vêtu d'une redingote dont les pans flottaient » lui avait posé sous le nez. Le tailleur Brast, qui habitait en face de la maison Bancal, décrivit le tohu-bohu qui avait précédé l'instant du crime et le vacarme des vielles, des hum hum, des psst psst et des sifflets au milieu desquels les comploteurs réalisaient le tour de force de marcher sans se faire entendre. Inspiré par le prétoire, il ajouta qu'il avait observé les étranges visites de Bastide et Jausion dans la maison Bancal durant les jours qui avaient précédé l’assassinat. A ces mots, Me Rodier, défenseur de Jausion, réagit vivement.

- Il est bien étonnant que, devant le juge d'instruction, le témoin n'ait pas déposé sur ce fait, d'autant que la déposition écrite est surchargée de détails inutiles.

-  Si on ne fait pas son devoir un jour, on doit le faire le lendemain, répliqua le témoin d'une voix tranquille.

Le ministère public poussa l’audace au point de faire citer à  la barre une codétenue de la femme Bancal, Françoise Camels. Dans l’espoir de donner satisfaction à ses geôliers, elle déposa que sa compagne de cellule lui avait fait de prétendues révélations sur sa haine de Fualdès et sur les détails du crime. Une autre détenue, Catherine Couderc, fit une déposition du même ordre. Dans son féroce acharnement, l’accusation imagina des subterfuges encore plus pervers. Respectueuse de la loi qui interdit aux enfants de déposer contre leurs parents, elle s'abstint de faire comparaître les petits Bancal. Mais elle fit appel aux amies de Magdeleine, Denise Roux et Françoise Ricard, âgées de dix et onze ans. Les deux enfants, qui ne comprenaient rien à l’affaire, se crurent comme à confesse et appelèrent le président « mon père ».De mon propre aveu, je pensais que leur récit portait tous les caractères de la confession. C'est dans l’église de Saint-Amans, à la messe de onze heures, près de la sainte table, que Françoise Ricard a posé des questions à Magdeleine Bancal sur son père et sa mère. Mais celle-ci a répondu que la sainteté du lieu lui interdisait de parler de telles abominations et l’a entraînée sur le parvis où elle lui a fait le récit de l’assassinat du « monsieur » par d'autres « messieurs ». A ce festival de dérision s'ajouta bientôt le flot des impressions subjectives. L'avocat Ladoux déposa que, s'étant un jour trouvé chez Bastide, il eut « des craintes pour la sûreté de sa personne et de ses papiers ››. Le professeur de collège Jean Vigne rappela qu'il l’avait croisé dans les rues de Rodez peu avant le crime et qu'il lui avait trouvé « un air de coquin ». Le lendemain, Rose Pailhès et l’accoucheuse Antoinette Malier furent également « effrayées » par son « mauvais air », son vieux pantalon vert, son chapeau troué et ses gros souliers. Et tous les ennemis personnels de Bastide-Gramont, tous les envieux vinrent dire tout haut une rancœur qui n'avait que trop longtemps macéré dans le silence et l’impuissance. Jausion fut passé au crible pour son insensibilité. Au sieur Carrère qui venait de lui apprendre l’assassinat de Fualdès, il se serait contenté de répondre : « Comment! C’est Fualdès ?››.

Durant la séance du 21 août, huit témoins se succédèrent pourtant dans un flot ininterrompu de bagatelles : « J'ai ouï dire que Capely avait dit qu'on guettait M. Fualdès depuis six mois... »

 « Mon mari tient de Capely que ce dernier avait ouï dire qu'on guettait Fualdès depuis six mois... » « Madame Boyer me dit chez elle, peu de jours après l’assassinat, qu'on en voulait depuis longtemps à M. Fualdès : Marion, chapelier, était présent... »

Bousquier fut enfin appelé à la barre. Chargeant ses compagnons d’infortune avec une férocité d’autant plus grande qu’il espérait s’attirer les bonnes grâces du jury, il fit le récit du crime avec la docilité que le ministère public attendait de lui. Il avait disait-il été mêlé au complot dont il connaissait les moindres détails, malgré lui et par une sorte de fatalité. Aussi se décrivait-il comme un ange fourvoyé dans la multitude des âmes turpides.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossiers Paperblog

Magazines