Comme vous le savez, j'ai participé cet été, de mon plein gré, pour ne pas dire de ma propre initiative, à une expérience collective originale. J'aurais du me méfier. Je suis dans une période où mes capacités cognitives ne sont pas au mieux de leur forme, et le simple fait d'avoir envisagé comme des VACANCES acceptables le fait de crapahuter 7 a 8 heures durant par n'importe quel temps, de partager nourriture, douche et sommeil avec de parfaits inconnus dont rien ne garantit qu'ils ne sont pas tueurs en série multirécidivistes, trafiquants de drogue,ou pire, inspecteurs des impôts, le prouve.
Je ne peux m'en prendre qu'à moi, la lecture du descriptif aurait du me mettre la puce à l'oreille. La première journée de marche, annoncée comme "petite journée tranquille de mise en route" affichait 800 mètres de dénivellé positif au compteur et 6 heures de marche.
Ce qui n'était pas annoncé au programme, par contre, pour cette journée là, c'était la pluie. Battante, la pluie.
Ça a eu l'avantage de me faire utiliser ma cape de pluie, ustensile incommode et encombrant, que l'on emmène généralement en randonnée sans jamais s'en servir, mais qui figure sur la liste des "must have" de tout bon randonneur qui se respecte, au même titre que la lampe de poche ou la couverture de survie.
J'ai du suivre dans des raidillons particulièrement ardus et de plus en plus glissants, une bande de seniors fort probablement dopés au vu de leurs performances, et une guide enceinte qui courrait comme un cabri. Enfin, les premiers jours. Parce qu'après, elle faisait moins sa maline, la guide.
Le groupe était essentiellement féminin, composé de filles seules de tous les âges, et de quelques couples dont les hommes se demandaient très visiblement ce qu'ils faisaient là, et faisaient front commun face à cet envahissement féminin, synonyme de douches froides en refuges.
15 personnes, venant de toutes les régions françaises, avec tous les accents et les patois locaux.
Saviez-vous qu'en Lorraine, un sac se dit un cornet plastique? Ridicule, non? En même temps, on s'en fout. Personne ne va jamais en Lorraine, alors.
Nous en sommes venus très vite à une grande intimité. Partage des dernières feuilles de papier toilette, lessive des sous-vêtements sales en commun. Je dirais presque que c'était émouvant de voir combien, lorsque l'homme retrouve le sens des vraies valeurs et se réduit a ses besoins les plus immédiats, combien il peut nouer des relations profondes et qui vont bien au delà des mots. Bouffer. Boire. Dormir.
Le second jour, il a fait meilleur, météo France prévoyait d'ailleurs du beau temps.
Il n'a effectivement pas vraiment plu, non. A la place, nous avons eu droit a un crachin de type breton persistant, et au brouillard. Au bout de quelques heures à peiner sur des pentes boueuses, pour ne pas dire bouseuses, sans rien voir autour qu'une végétation suintante d'une humidité qui nous pénétrait jusque l'âme, on a presque failli consommer les champignons hallucinogènes qu'on croisait dans toutes les déjections de vaches ou de chevaux, soit tous les 30 centimètres, environ. Ah si, fait notable, nous avons entendu une marmotte. Une fois. C'est le seul animal un peu exotique dont nous ayons pu deviner la présence durant le séjour, à croire que les vautours, isards et bouquetins s'étaient tous donné le mot pour aller bronzer à la plage, cette semaine là. J'en suis même venu a me demander si ce n'était pas un attrape-touriste, un cri enregistré et diffusé via des hauts parleurs planqués sous une pierre. Mais, vu le temps, le haut- parleur n'aurait sans doute pas résisté. Une marmotte, donc.
Le troisième jour, enfin, il a fait beau. Nous avons pu nous extasier sur les paysages, sur les fleurs, nous avons même fait mine d'être intéressés par leurs noms et leurs propriétés, choses que nous nous sommes empressées d'oublier dans les minutes qui suivaient. C'est pas comme si ça pouvait nous servir un jour, de savoir que l'aconit est l'une des plantes les plus toxique d'Europe, provoque la mort par paralysie et ne possède pas d'antidote. Quoique, maintenant que j'y repense...
L'atmosphère dans le groupe était nettement à la rigolade, à partir de çe moment là. Nous avons épluché le catalogue des blagues de montagne, telles que le "recule, recule" demandé au sujet d'une photo en pied devant un à-pic de 300 mètres, qui fait toujours son petit effet, ou bien le moins connu "il est bouse heure, si on s'arrêtait manger?" très à-propos.
Nous avons enchainé les journées, la fatigue s'est installée dans nos corps maltraités. Des muscles dont je ne soupçonnais pas l'existence se sont rappelés à mon bon souvenir, quelques ampoules sont apparues sur nos pieds échauffés, les tendons ont montré des signes de faiblesse chez certains.
Vaillamment, et aussi parce que nous avions payé pour ça, nous avons continué. Bravant les fortes pentes, les éboulis, la chaleur. Escaladant s'il le fallait, toujours plus haut, sans plus penser à rien, juste mettre un pied devant l'autre. Encore. Et encore.
Tout en haut, nous avons vu des montagnes, tout autour. Des lacs. La mer. Des falaises escarpées de roche grise et luisante, des monts en pente douce recouverts d'herbe. Des arbres. Et, tout en bas, au loin, quelques rares maisons, regroupées en hameaux. Le vent à nos oreilles soufflait que nous avions réussi, et rafraichissait par de douces caresses nos corps enfiévrés par la montée. Soleil.
Nous avons connu les joies de la vie en commun. Le dortoir, après la salade de pois chiches à midi. Ronflements, digestion et odeurs de pieds. L'extinction des feux à 21 heures. Le bonheur des choses simples: un lit, même si les couvertures ont servi à deux cent randonneurs précédents. Une douche capricieuse et aléatoire, dans un état de propreté finalement correct eut égard au fait qu'elle n'est sans doute nettoyée qu'une fois tous les six mois.
Nous avons vite trouvé normal de remettre nos chaussettes trois jours de suite. Et de la bonne chaussette dans laquelle nous avions bien macéré, s'il vous plait.
Nous avons appris à considérer l'électricité comme un luxe, et la couverture réseau comme une utopie.
Nous avons retrouvé les WC turcs de notre enfance, inventés peut être par un habitant d'Anatolie, mais certainement pas un habitant de sexe féminin, tant ils sont anti-anatomiques pour les femmes. Il est en effet physiologiquement impossible pour une femme de pisser dans un WC turc sans s'en mettre partout.
Nous avons pu manger comme quatre sans culpabiliser.
Et puis, un soir, nous sommes rentrés dans un village. C'était le dernier soir, déjà, et ça nous a fait bizarre de nous dire que le lendemain, nous ne serions pas tous ensemble sur un chemin à flanc de montagne. Les plus vaillants devant. Moi derrière, dans le petit groupe à la traine.
Et juste, laisser nos sens faire leur travail.
Voir. Embrasser du regard l'immensité.
Sentir. Le thym sauvage, les cèpes cachés sous les feuilles.
Toucher. Se retenir de la main à cette branche d'arbre noueux.
Entendre. Une chute d'eau, que nous passerons à gué, un peu plus loin.
Goûter. Une poignée de framboises sauvages. Ce chocolat crémeux préparé avec amour par l'aubergiste qui nous a ouvert ses portes pour nous mettre a l'abri de la pluie, quelques instants.
Être.
A bientôt, mes petits clous...