Le 24 août 1899 naît à Buenos Aires Jorge Luis Borges. Son père, Jorge Guillermo Borges, professeur d’anglais et de psychologie, et sa mère, Leonor Acevedo Haedo, appartiennent tous deux à des familles qui ont lutté pour l’indépendance de l’Argentine.
Source
EXTRAIT
d’un entretien de Jorge Luis Borges avec César Fernãndez Moreno
―Et à quel moment à peu près vous situez-vous, dans vos souvenirs, à Buenos Aires ?
―« Je suis né rue Tucuman, à l’angle de la rue Suipacha, dans le pâté de maisons même où mourut Estanislao del Campo, qui était un oncle de mon grand-père ; par la suite, j’ai visité la maison, mais je n’en ai gardé aucun souvenir. Mes premiers souvenirs ne se rapportent pas à cette maison qui ressemblait à toutes celles de son temps. Disons, en plus petit et en plus modeste, une maison comme celle qu’occupe la Sociedad Argentina de Escritores : avec deux cours latérales, la première pavée en damier, avec un puits au fond duquel, je l’appris par la suite, il y avait une tortue pour purifier l’eau. À cette époque-là, me dit ma mère, quand on louait ou achetait une maison, on demandait s’il y avait une tortue et on vous répondait alors : « Oui, monsieur, soyez tranquille, il y a une tortue. » Car on croyait que la tortue était une espèce de filtre qui mangeait les insectes et l’on ne s’attardait pas à penser que la tortue, non seulement ne purifiait pas l’eau, mais la souillait à son tour. À Montevideo, on demandait en général s’il y avait un crapaud. Mais la tortue et le crapaud étaient là. Ma mère et moi avons bu de l’eau de tortue pendant des années, et, comme tout le monde, nous n’en éprouvions aucun dégoût. En revanche, maintenant, bien sûr, je n’aimerais pas boire de l’eau de tortue.
― Mais les tortues et les crapauds ont une nature si minérale…
― Ils sont, il est vrai, un peu abstraits…
― Pourquoi ne nous parlez-vous pas encore de votre enfance dont vous nous avez dit une fois qu’elle s’était écoulée tout entière dans une bibliothèque ? Vous disiez, textuellement, une bibliothèque aux innombrables livres anglais.
― Oui, c’est exact. Mon père avait une grande bibliothèque. On me permettait de lire n’importe quel livre, même ceux qu’on interdit habituellement aux enfants. Par exemple, le livre des Mille et Une Nuits, dans la version du capitaine Burton. J’ai lu d’un bout à l’autre cet ouvrage qui, je le constate aujourd’hui, abonde en obscénités, mais elles ne retinrent pas alors mon attention, car ce qui m’intéressait c’était le côté magique des Mille et Une Nuits. J’étais si sensible à cet aspect magique que je ne l’étais pas au reste du texte que je lisais sans y faire attention. Par la suite, j’ai constaté, les années passant, qu’au fond je ne suis pas sorti de cette bibliothèque, que je continue toujours à relire les mêmes livres. C’est ce qui m’est arrivé avec le Quichotte. Je l’ai lu dans l’édition Garnier. Je ne sais si vous vous rappelez ces volumes rouges avec des lettres dorées. Par la suite, on dispersa la bibliothèque de mon père. Je relus le Quichotte dans une autre édition, mais j’avais l’impression que ce n’était pas le vrai Quichotte. Je chargeai un de mes amis, Manuel Gleizer, de me procurer l’édition Garnier. Il me fit la surprise de m’apporter aussitôt ce livre, avec les mêmes gravures sur cuivre, les mêmes notes explicatives, et avec, également, les mêmes errata. Tout cela, pour moi, fait partie de l’ouvrage. Maintenant j’ai ce livre chez moi et il me semble que celui-ci est le vrai Quichotte.
Emil Rodriguez Monegal, Borgès, Éditions du Seuil, Collection Écrivains de toujours, 1970, pp. 158-159. Traduit par Françoise-Marie Rosset.
JORGE LUIS BORGES
■ Jorge Luis Borges
sur Terres de femmes ▼
→ Labyrinthe (poème issu d’Éloge de l’ombre)
→ Le Sud (poème issu de Ferveur de Buenos Aires [1923])
■ Voir aussi ▼
→ (sur Literatura.us) les poèmes du recueil Fervor de Buenos Aires (1923)
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