La Bourse ou la vie

Publié le 25 août 2011 par Voilacestdit

L'actualité politique en cette fin août a quelque chose de décidément dérisoire. Nos politiques ont beau se démener, rien n'y fait, la Bourse réclame toujours plus de gages, et n'en finit pas de décrocher, pour remonter un peu, dévisser à nouveau etc. Comme si la Bourse était le juge suprême devant lequel les États avaient à répondre. Alors que la Bourse ne tient que grâce aux mêmes États, qui savent arranger les choses, réguler ou déréguler, au mieux des affaires.
Et puis, que représentent les Bourses ? Plus grand chose, en regard de la réalité des valeurs industrielles qu'elles sont censées coter. On imagine mal en effet une valeur réelle - c-à-d qui appartient au monde réel - qui représente un investissement réel sur le long terme, de l'innovation, de l'ingénierie, du travail réel ... se déprécier d'un coup, perdre 20% en un mois d'été, soit le cinquième de sa valeur, sans fondement réel. Le prix des actions est normalement fondé sur des bases solides qui varient lentement : il faut une catastrophe comme le Médiator pour provoquer une chute brutale du cours de l'action - ou l'annonce du départ de Steve Jobs - départ suscitant une légitime inquiétude sur la capacité de Apple à poursuivre ses succes stories en l'absence de son emblématique patron - pour enregistrer une baisse immédiate de 7% de la valorisation de Apple. Mais rien de tel que je sache pour les valeurs du Cac ou des Bourses des autres pays.
Certes, me dira-t-on, la Bourse a le regard fixé sur le long terme, elle anticipe les bonnes ou mauvaises perspectives de l'activité. En réalité la Bourse, les spéculateurs fonctionnent sur la peur. La peur de la crise alimente la crise. La Bourse devient un indicateur de la peur face à l'avenir :  plus la peur monte, plus la Bourse baisse. Or la peur est irrationnelle. La Bourse devient irrationnelle.
La Bourse devient d'autant plus facilement irrationnelle dans son fonctionnement que celui-ci, en réalité, échappe à ceux qui sont supposés être aux commandes. Les traders, on le sait, passent leurs ordres en se fiant à des modèles mathématiques, qu'ils ne maîtrisent pas. La réalité, déjà, leur échappe : ils achètent, vendent, des matières premières, du riz, du blé peu importe ce sont des chiffres. Ils ne voient pas les hommes qui sont derrière ces chiffres. De plus, ils utilisent des modèles mathématiques sophistiqués - certains basés sur la géométrie fractale - qui n'ont pas été réellement conçus pour ce à quoi ils les emploient. D'où des accidents non maîtrisables.
Qu'est-ce qu'une fractale ? C'est un objet qui a la même structure vu de près, de loin ou de tous les niveaux intermédiaires. La nature regorge de ces figures, des fougères à la structure atomique d'un flocon de neige en passant par le poumon... ou un graphique des cours du coton : c'est en étudiant les marchés financiers que naîtra dans l'esprit de son inventeur, le mathématicien Benoît Mandelbrot, la réflexion qui le conduira aux fractales. Mais, et c'est là tout le problème, Mandelbrot n'a jamais eu pour objectif de développer un modèle financier ; ce qui l'intéressait, lui, c'est d'identifier des structures, non de développer un modèle.
Nous voilà donc embarqués comme sur un bateau ivre et pire fluctuat et mergitur. Comment en reprendre la direction ? Il faudrait reconnecter les Bourses au réel. Pour paraphraser Rimbaud : il faut être absolument réel.
La virtualité - des chiffres, des écrans, des calculs, de la vie même des traders qui se meuvent dans un autre monde... - nous joue de (mauvais) tours. Rimbaud, encore toi, le passant, vite ! est-il d'autres vies ? [Une saison en enfer, Mauvais sang] :

J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! Je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! [...] Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre !

[id., Adieu]