Magazine Journal intime

Trois Papillons

Publié le 26 août 2011 par Eric Mccomber
Un immense papillon noir anarchiste est entré hier dans la bibliothèque de l'école de théâtre qui me sert de chambre. Il a voleté dans tous les sens et a fini par se poser sur le rebord d'une grosse lampe jaune. Sa forme sombre et gracieuse dans le soleil à cet instant précis contrastait avec le mur blanc et dessinait un tableau d'une perfection esthétique à couper le souffle. Trois longues secondes ont trotté, puis le voyageur a battu des ailes et s'est laissé dériver dans le courant d'air… C'était Leonardo Da Vinci, c'était Jimi Hendrix, c'était James Joyce, en cette seconde de félicité. Un simple geste d'une violente splendeur transforme la réalité de manière fugace. J'ai échappé un soupir de contentement. J'ai étiré mes jambes en souriant à pleines joues et je suis descendu dans le théâtre pour accorder mes guitares.
Cette nuit, vers trois heures, je me suis levé pour transvaser un hectolitre de bière de mon ventre vers le Rhône par le truchement des canalisations municipales. J'ai pris place sur la cuvette et, comme je laissais à mes entrailles le temps de déterminer s'il y avait lieu de pousser plus loin les projets d'irrigation, un second papillon noir est entré dans ma journée, minuscule, celui-là, par la fenêtre des toilettes. Il était très agité, au point que je me suis dit qu'il revenait d'une discothèque et qu'il avait dû renifler de la poussière. Gauche, droite, haut, bas, droite, à l'envers, sur le côté, un vrai petit Michael Jackson, mais sans gant. Il était considérablement plus petit (et moins serein) que son collègue du matin, mais le losange charbon de son empennage esquissait de grands gestes de fusain contre les carrelages immaculés. Trois fois il s'est posé pile sur le fil d'ombres très tranchées que le réverbère décochait sur les angles de la pièce. Le temps d'un soupir, il semblait se mettre en scène, entre ténèbres et lactescence. J'ai repoussé le volet pour lui permettre de retourner d'où il venait, le pauvre, qui s'aplatissait le nez contre la vitre après sa courte performance.
Une minute plus tard je sentais le froid délicieux des pierres sous mes pieds nus tandis que je remontais chez moi, enchanté par la lumière des étoiles et la douce brise dans mes boucles. Mon ombre rampait, comme d'habitude, collée à mes talons, et la lune fardait d'argent mes bras et mes jambes. La vieille crème! J'ai chuchoté en la toisant:— Ah, te vlà, toi… © Éric McComber

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