Le dur métier d'agente de distribution

Publié le 29 août 2011 par Cyannpapillon

NB: Je ne peux me permettre de citer ni renseignements ni données qui violeraient le secret professionnel ou la politique de confidentialité de l'entreprise pour laquelle je travaille. Les noms cités sont donc des noms fictifs, mais les situations sont bien réelles. 
Je sais, je vous vois venir: vous allez me dire: "Agent de distribution?? Késseussékssa??"
Ben agent de distribution c'est mon emploi actuellement. Oui je sais, ça vous renseigne pas beaucoup. En fait depuis quelques mois, l'artiste que je suis s'est rendue compte que c'était bien beau de vivre de son art, mais qu'avant de vivre de son art il fallait vivre tout court et malheureusement, je ne suis pas encore capable de transformer la peinture en bouffe. Donc j'ai accepté un emploi d'agente de distribution directe dans une des plus grosses institutions financières du Canada, j'ai nommé Tululu Compagnie (Oui je sais, c'est poche comme nom, mais c'est le premier qui m'est passé par la tête.).
 
Agente de distribution directe c'est vendre des produits de la compagnie et pour la firme Tululu Compagnie c'est les produits Tululu et donc des assurances. Alors oui, vendre des assurances, c'est pas le tip top de l'extra, mais vu la renommée de Tululu, non seulement c'est bien payé, mais en plus l'environnement de travail est excellent: un gestionnaire super sympa, un cadre déal, café, sucre et lait gratuits aux pauses, jus de pomme à volonté, etc etc etc (Non je ne pense pas qu'à mon ventre!). Le must du must c'est quand je dis aux gens que je travaille chez Tululu Compagnie: admiration totale, étoiles dans les yeux, les gens croient que c'est LA job du siècle. Mêm quand on précise qu'on est au renouvellement des cartes de crédit pour les assurances, Tululu c'est Tululu. 
Sauf que ça, justement, c'est les gens à qui on n'essaye PAS de vendre les assurances. Parce que les gens à qui on ESSAYE de vendre, ben eux, que tu sois de Tululu, Tululo ou Tulula, ils s'en fichent. Pas d'étoiles, ni d'admiration, non. C'est plutôt l'inverse. Du coup le boulot, il est parfois un peu lourd. Mais j'avoue avoir bien du fun quand même. Laissez-moi vous montrer ça. 
Déjà quand on a un client en ligne, on doit vérifier les coordonnées téléphoniques puis l'identité. Donc ça commence genre: 
"Pour des questions de sécrurité, pouvez-vous me donner votre numéro de téléphone à la résidence en commençant par l'indicatif régional?" 
Ce qui est drôle c'est que certains clients ont tellement l'habitude d'être servis par des messages pré-enregistrés qu'ils ne se posent pas la question de savoir s'ils ont quelqu'un de réel au bout du fil. Donc ils composent le numéro au lieu de le donner à l'oral et toi t'es là: 
"Euh non, faut me le donner à l'o... allo? Allo? Non, madame... madame? Vous m'entendez?". 
Parce que parfois ce sont des gens âgés et ils mettent... un peu de temps à composer le numéro justement... Puis quand le client comprend qu'il a quelqu'un de réel, il comprend pas en fait, et donc il sait plus quoi faire. 
L'autre cas c'est celui qu'est pas sûr de savoir à quoi il parle. 
"Euh, allo? Vous êtes une machine?". Là c'est drôle parce que généralement, je pars à rire et ça détend l'atmosphère tout de suite. Mais certains clients sont tout confus et s'excusent dix fois, même si je leur répète que c'est pas grave. 
Des fois t'as des clients pressés aussi. Que j'ai même pas fini de leur poser la question, que eux ils ont déjà fini de me répondre. Que là tu passes pour une incompétente, parce que tu dois faire répéter le numéro. 
Ou alors les multi-numéros comme je les appelle. Le numéro de la résidence ne correspond pas au dossier, alors ils te passent en revue tous les numéros qu'ils ont : au travail, chez les parents, le cellulaire, les trois anciens domiciles, le petit ami actuel, l'ancien petit ami, la soeur de la cousine de l'oncle du neuveu de la tante par alliance du père de la soeur, le cellulaire de la société, etc etc etc. 
Après ça, il faut passer au nom. Là c'est compliqué, parfois. Il faut savoir que Tululu Compagnie dessert TOUT le Canada. Tululu est partout, partout, partout. Si on établit un périmètre de 10 minutes de marche autour de mon chez moi, il y a trois ou quatre bureaux Tululu. Maintenant multipliez ça par la surface du Canada... Ce sont donc des millions de clients. Des milions! Et donc des centaines d'appels par jour, rien que pour le renouvellement des cartes de crédit. Mais le truc c'est que non seulement y'en a beaucoup, mais en plus, c'est des gens de tas de nationalités différentes: du bon vieux canadien de Beauce aux immigrés africains ou arabes, en passant par les asiatiques, les hispanophones ou des anglophones - les français, ça va je les comprends, hihi! 
Ces gens ont en général un point commun: un accent pas mal prononcé. Par téléphone c'est parfois difficile de comprendre quelqu'un, surtout quand la communication est pourrie, mais alors quand l'accent s'y met... Vous avez déjà entendu l'accent canadien? Lui ça va, je m'y suis faite ou presque. Mais un accent canadien Beauceron? Vous avez déjà entendu ça? Ben croyez-moi, on n'a pas l'impression d'entendre parler français. Donc parfois c'est mêlant quand vous avez du monde que vous comprenez pas. Quand un chinois vous dit que son nom c'est "Chang Chen" et que dans le dossier vous avez une carte au nom de Chang et une au nom de Chong... Non parce que nous on fait bien la différence sonore entre un et un o, mais un chinois, il les prononce de la même façon ou presque. Imaginez le malaise quand je dois faire répéter trois fois un nom et que le client aussi à du mal à me comprendre...! 
Dans les difficultés de prononciation, y'a aussi le cas où moi je dois répéter le nom du client, car je dois le nommer nom/prénom dans l'appel. Vous avez déjà prononcé un nom russe d'une dizainne de lettres avec pas plus de trois voyelles? Ou alors un nom arabe composé de quatre ou cinq éléments sans que tu puisses déterminer où s'arrête le prénom ni où commence le nom? Des fois je suis tellement mêlée que c'est carrément plus simple de le dire au client et généralement il rit avec moi. 
Passées les vérifications, je demande s'ils ont des questions par rapport à ça. 95% du temps, les infos qu'ils me demandent sont écrites dans le document qu'il sont sensés lire avant d'activer la carte... puisque ça explique comment activer la carte. 3% du temps c'est des choses que je viens de leur expliquer et le 2% restant ne relève pas de mon domaine. Non messieurs-dames, on est à l'activation, on ne peut donc pas changer la couleur de votre carte de crédit, même si vous la trouvez moche. Oui monsieur, je sais que le numéro du Service de Cartes est écrit trop petit, mais je ne peux pas le désimprimer, non. 
Ah oui... LA question qui tue. THE question. 
"C'est pas une carte à puce? 
- Oui, monsieur, vous avez une puce. 
- Il n'y en a pas sur la carte. 
- Si, si, vous avez bien une puce. 
- Non, y'a pas de puce, ni devant ni derrière. 
- Vous avez retiré l'autocollant sur la carte? 
-..." 
No comment. Vous n'imaginez pas le nombre de fois que ça arrive. 
Après c'est le service à la clientèle et le produit. Là on a des situations drôles. Surtout quand je m'étouffe. Oui, oui, vous avez bien lu. Ça vous fait jamais ça vous? Vous parlez et tout à coup "rrrhhhh!!!", vous vous auto-étouffez. C'est agaçant l'auto-étouffage, c'est étouffant. Là t'essaye d'articuler un truc qui ressemble à un "Ne qurittrrez parrrrgh", tu mets ton client sur mute et tu craches tes poumons pour reprendre de l'air sous le regard amusé des collègues. Oui ça nous arrive à tous, mais c'est toujours plus fun quan c'est l'autre à côté. Après tu reviens avec ton "merci d'avoir patienté" collé à ton sourire dentifrice comme si de rien n'était. 
Parler avec les clients c'est ou fun ou pas fun. Y'en a qui te content leur vie, avec qui t'as de belles discussions, qui sont ouverts, pleins d'humour, qui te font oublier le client d'avant, qui te donnent envie de parler encore. Avec eux tu as un échange. Pas obligé qu'ils achètent. Chez Tululu on dit qu'on bon appel c'est pas forcément un appel où tu vends, mais un appel où le client et  l'agent ont du plaisir. 
Puis t'as les autres. Qui t'écoutent pas du tout, qui te sortent des "ouais" à tout bout de champ, qui font autre chose en même temps au lieu de te dire que ça les intéresse pas, qui sont pressés, énervés, désagréables, voire insultatnts, qui raccrochent au nez. Le truc c'est que toi, tu peux pas être désagréable. Tu gardes ton sourire dentifrice et tu réponds mercibabaille. Tu dois prendre en considération que la fille, elle a peut être eu une mauvaise journée, donc faut pas lui en vouloir - mais toi, même si t'as eu une mauvaise journée, on va t'en vouloir, parce que t'inquiètes pas que si le client il est pas content, il va porter plainte direct. Des fois t'as l'impression de parler à une pierre tombale, tellement qu'il y a des gens qu'ont zéro communication. Y'en a qui sont même énervés de devoir activer  leur carte. Alors là, tu le sens venir, que tu vas te faire ramasser quand tu vas proposer l'assurance! C'est genre que quand tu prononces le mot "assurance", t'es déjà en position foetale, les mains sur la tête pour essayer de te protéger et que tu respires déjà plus. 
Ah puis il y a... les drageurs! Ceux qui disent que tu as une jolie voix et qui essayent de savoir ton âge ou si t'es seule. J'ai remarqué qu'ils étaient souvent dans la tranche des 50 ans et plus (je ne sais pas comment je dois le prendre...) mais on en a des plus jeunes quelques fois. C'est pas méchant et la plupart ne sont pas sérieux, ça nous permet même de faire de l'humour. Je me suis déjà faite inviter au resto une fois. Nos appels sont enregistrés et écoutés pour la qualité de notre service (on est soumis à des lois très strictes), des fois je me dis que les techs qui s'occuppent de ça doivent bien se marrer des fois... 
Mais le pire - pour moi en tous cas - c'est surtout le côté répétitif du travail. Toujours redire différemment  les mêmes choses. Chaque client est différent, donc nous devons personnaliser tous les appels, pour ne pas qu'ils aient l'impression d'être dans une masse informe. On s'adresse au client en tant que personne individuelle. Mais des fois on fait appel sur appel; à peine raccroché, un autre appel rentre et ça peut durer des heures quand on a des gros rushs. Donc c'est dur. Parfois je suis tellement mêlée que je demande au client où j'en suis, si je lui ai déjà dit telle ou telle information! Il m'est même arrivée de demander ses informations personnelles à quelqu'un alors que c'est moi qui appelais pour un autre produit! 

Mais alors le pire du pire, vous n'allez pas me croire... il m'est arrivée de m'endormir en parlant....!!! Vous pouvez croire ça vous!? Ben si ça ne m'était pas arrivée par trois fois au moins, je ne l'aurais pas cru, moi! J'étais tellement fatiguée que je me sentais partir en parlant à mon client! Mais alors ce qui est drôle c'est que j'ai continué à parler normalement en m'entendant penser "Beuh, mais je m'endors!?" et que le client semble ne pas s'en être aperçu... Bravo Cyann! 
De tous les métiers que j'ai eus ça n'a pas été le plus simple, ni le plus agréable, mais je dois dire que ça m'a apporté une exprience vraiment importante qui m'a permis de comprendre beaucoup mieux comment fonctionnait le système financier canadien - et croyez-moi, ce n'est pas comme d'où je viens. 
Tiens ça me fait penser que je pourrais vous en écrire de belles sur la carte de crédit. Non non, je la gère très bien, je n'achète pas des capes médiévales que je ne mettrai probablement jamais ni des tampons encreurs super chers qui ne me serviront presque pas. Non, voyons, c'est pas dans mes habitudes de dépenser pour rien, moi, voyons! Jamais!