Magazine Journal intime

Fragment d'enquête

Publié le 31 août 2011 par Thywanek
Une large douche blanche tombe du plafond. Dans l’aquarium vert pâle rien ne bouge. Ni mille mains ni deux n’ont trouvé. N’auraient pu y parvenir. Ce n’était pas seulement quelques grammes de métal de la taille d’un obus, minuscule, dont la résistance d’un os avait écrasé le museau térébrant. Tout juste le pire degré dans l’accident humain. Ce à quoi tout espoir, fétiche hasardé à des rambardes aux lointains inaudibles, tend irrémédiablement un miroir à deux faces. Qu’on n’en finisse pas. Et puis qu’on en finisse. La guerre finie. Celle-là. Sans hésitation. Une de plus.La dépouille blême bleutée, devenue objet, plus stupide qu’un vin sans alcool. Le silence recousu en cicatrices grossières. Quelques odeurs chimiques déjà chassées par le délabrement déjà commencé. Le masque lisse de la souveraine indifférence enfin justifiée. Le dossier passé en d’autres mains. Celles-là croisée sur les pans avachis d’un imperméable passe muraille.  Puis au dehors des halots falots de topazes embruinées qui grésillent dans la gigantesque montagne de la nuit où creuse le pas inégal d’un mineur en habit d’inspection parmi les galeries où il ne croise que d’informes éponges qui frottent les murs de leur pelage ammoniaqué. Ce sont des chiens mouillés d’acide. Encore eux. Déjà entendu parlé. Des chiens qui n’aboient que s’ils sont sûrs de souffrir et de ne pas en crever. Sinon ils laissent dans leur sillage de rampants quadrupèdes des relents de plaintes qui ressemblent aux sons d’outres vides dont on voudrait tirer une ultime goutte, presque enfin un aveu, et qu’on tord, et qu’on presse, et qui finissent par lâcher un grotesque bruit d’air coincé dans des entrailles amollies. Des chiens qui vont, obsèques à rebours, irrésolus comme des tristesses de gosses sans histoire et sans hargne, allant et ramassant, absorbant, au gré de leurs divagations sans âmes, les pelures miteuses des assassins assassinés qui, sur leur passage, se décollent, cibles silhouettes, des porches où s’éteint, rouge loupiotte, témoin consommé, leur crime obligatoire.     Il suffit de rien, tout le récit est là. L’enquêteur se faufile d’un clebs à un  autre en goûtant sur sa langue les mots d’un suspect aux poches retournées : « Nous n’avions pas fini de voler dans les airs des visions d’anges débarrassés. » De même il se faufile d’un murmure à un autre. Des signaux qui chuintent et parfois font dresser une oreille inquiète sur la tête pendante d’un ramasseur de désarmés. Et il cherche, avec cet horizon sous égout que lui laisse le ciel de roche où l’écho de son pas s’abuse d’un moindre passage, tout ce qu’il peut entre la fiche d’autopsie aux données sériées et l’éventualité d’un jugement aux conclusions ballantes.   D’un murmure à un autre il questionne entre deux morts. Il tend au vent, aux coulées de vents qui se meuvent en serpents minces et suaves, veules et corrompus, une écoute de scribe aux transmissions incodifiables. Il a noté sur un carnet les mots d’un mourant déjà de quelques dix ou douze meurtres. On ne sait pas. On n’a pas encore retrouvé tous ses dires. Il s’en cache sûrement d’autres. Au fond d’un puisard planqué dans une friche industrielle. Un de ces mausolées piaillant de tous ses vieux fers disjoints. Dans des caves à rats leur grignotant leur reliure et tapissant les trous où ils se reposent avec les pages désordonnées. Des mots à prières adressées dans le plus absolu déni de toute présence qui voudrait prétendre être plus fatale que l’horizon sans vie de toute chose. « Te voilà donc, oh te voilà ! Mon froid, mon cher froid. Mon cher froid qui va couvrir les corps obscènisés. Le corps obscènisé. Le corps obscénisé, mille, et tant encore, et tant, élimes de langes choyant parterre en bris desséchés comme des visions érodées par les courants évidents des mystères essorés. Ô mon cher froid d’une question sur toutes les affiches, toutes les images mouvantes ou figées, et leurs autels aux piétés venteuses, aux rituels filtrés de machines méduses : des sous-sols rehaussés de tuteurs fondements, la pointe sous le crâne embrochant les esprits, pour que tiennent, un décor, des mimes clonés aux joies automatiques, aux émois calibrés. Que tous sont donc encore tellement morts ! Où tellement saignants leur cuir tout raboté sous les veines qu’ils doivent parcourir en courbant leur nuque à l’angle bas. »Il a noté ça sur ce carnet. Et puis tant d’autres aveux qui n’en sont plus. N’ont pas pu en être, tant le bras pour sa force pourrissait dés le départ. Et la bouche fumait de paroles désossées. Et l’œil d’une dent de verre balafrait toute adversité. Et tant rien n’avait fuit entre les fluides mécaniques pour signifier fut-ce un écart de conduite à épancher. Il n’y avait plus qu’à punir.Engoncé dans sa pluvieuse sans pluie l’enquêteur évite les guets de pierres aux châsses entrebâillées. Il devine depuis longtemps les frétillances qui s’y agglutinent. Langues oriflammes aux contes bossus, dardant leurs assurances prothèses pour sucer un peu d’horreur à même le pavé. Gueusailles sans naissances épouvantées d’un sort dont elles ne connaîtront que la main qui froisse une motte de terre. De même évite quelques prêtresses aux robes de corbeau qui savent toutes quelque chose de trop tard, de trop noir, qui se taisent dans des impasses où elle font mine d’attendre, une entrave oracléenne à la cheville. Et quelques pêcheurs séchant à la rampe d’estaminets obscurément ralentis dans des pénombres jaunâtres où les doubles sans visages s’effacent dans un vin rugueux. Et puis, plus rarement, évite un jeune couple d’amants voletant prestement dans les rues, follet brièvement luisant comme une lampe de mercure aux argents invincibles.  Dans son sale sac à bruine il recompte les arpents de la ville. Il cherche des indices en traversant les intérieurs prisonniers. Les intérieurs honteux. Les intérieurs complices. Intérieurs pleins, débordants, suintants, mais aux viscères scellés comme des panses embaumées. Un jour ou l’autre il trouve des clés. Et la porte a déjà changé de chambre. Et dans les entrepôts où on range les anciens évadés, ou quelquefois les futurs fuyards, on ricane dans des rêves juste un peu plus cruels que la vengeance du monde sur ses parias indexés.  Lorsqu’il arrive parfois au bout d’une assez longue rue il s’arrête de longs moments à la sortie de la caverne. Si loin qu’il sait ne jamais pouvoir y atteindre un immense feston coloré semble séparer le ciel et la terre. Comme un énorme, un gigantesque réceptacle s’entrouvrirait et il s’interroge sur les forces qui feraient entrer toutes lumières jusque dans les endroits les plus sombres de la cité, ou qui feraient s’écouler toute les ombres de la ville dans l’océan d’un dernier jour, dans une éternité à jamais empoisonnée.Mais ce n’est qu’un éther huileux de la fatigue. Il n’y a que nuit et jour. Et jour et nuit. Et les halls de quelques palais fastueux pour se recouronner de temps à autre d’être un peu humain encore si c’est possible. Laisser choir sur le sol la pelisse crasseuse. Et fondre lâchement comme d’un très vieil, d’un très antique éblouissement, comme d’une pincée de notes gracieuses effeuillées entre d’agiles doigts plumeux, dans le laps éphémère de ces solitudes entendues, multiples, ordonnées par les noblesses dénuées des sas crépusculaires. L’imper tâché d’acide qu’il traînera derrière lui en rentrant lui regrimpera sur les épaules sans presque qu’il s’en aperçoive. L’institut médico-légal a déjà dû rappeler et laisser un message.

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