En mémoire du poète des poètes, délivré des pesanteurs de ce bas monde un 31 août, en l'an 1867, par ciel changeant.
Celui qui revient à cette source noire et or / Celle qui revêt son armure de chair / Ceux qui se ressourcent au désert de la rue / Celui qui écrit un sonnet au sommet de la Tour de Babel-Oued genre minaret à sonnailles / Celle qui relit Le Spleen de Paris dans son loft du Marais / Ceux qui savent par cœur ces vers du poète des poètes : « Ô douleur ! ô douleur ! Le temps mange la vie / Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur / Du sang que nous perdons croît et se fortifie » / Celui qui inscrit le nom de Baudelaire au couteau sur la cuisse de son amante maure, juste après celui de Torugo, juste avant celui de Rimbaud / Celle qui voit tourner les phares au fond des musées endormis / Ceux qui hantent le « triste hôpital » en quête du moindre « rayon d’hiver » / Celui qui a stocké les poèmes appris par cœur dans sa mémoire vive sous le nom de dossier de Crénom ! / Celle qui aime bien ces deux vers d’une pièce condamnée : «Le rire joue en ton visage / Comme un vent frais dans un ciel clair » / Ceux qui savent en lui tous les musiciens et tous les peintres et tout le Verbe pour les dire / Celui qui se sent tout humour en lisant le premier quatrain du Mort joyeux : « Dans une terre grasse et pleine d’escargots / Je veux creuser moi-même une fosse profonde / Où je puis àloisir étaler mes vieux os / Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde » / Celle qui apprend ceci de la sagesse immobile des hiboux : « L’homme ivre d’une ombre qui passe / Porte toujours le châtiment / D’avoir voulu changer de place » / Ceux qui voient aujourd’hui et partout des Belges qui sont très français suissauds hollandais teutons touristes anglais à jacuzzis et barbecues nippons tous philistins et demi bouffeurs de macaronis virtuels berlusconiens / Celui qui estime que le cinéma belge est aujourd’hui baudelairien au possible / Celle qui trouve les prétendus rebelles actuels tout ce qu’il y a de belges / Ceux qui s’enorgueillissent de tenir un bordel au fronton duquel est écrit : « J’ai pétri de l’or et j’en ai fait de la boue » / Celui qui a vu Baudelaire et Caravage dans un bar du Purgatoire bien tard le soir mais leurs traits se reconnaissaient sous la lame d’un rayon clair / Celle que Baudelaire a connue non selon la Bible mais selon Platon / Ceux qui chinent jour et nuit dans sa brocante à ciel ouvert / Celui qui sait en lui aussi « l’appareil sanglant de la Destruction » / Celle qui se rappelle les moments de grâce à lire Baudelaire en classe de français avec ce Don Juan délicieux qu’était Georges Anex / Ceux qui aiment ses ciels changeants comme des humeurs de jeune fille et tout pareils à ceux des Antilles, etc.
Image : Baudelaire par Nadar.