Il y a des gens dont on pourrait dire, comme ça, qu'ils ont la grâce. Basil Da Cunha, par exemple. À la fois par sa présence à cette table de buffet de gare, immédiatement intense et pure, irradiant également ses deux premiers films, intenses et purs, saturés de réel pur et dur dont leurs images expriment l'âpre beauté.
Car cette « grâce » n'a rien d'évanescent. Elle émane de la vie même, brute de décoffrage. Elle fait rayonner de beauté des visages cabossés par l'existence, pêchés par Basil dans la réalité la plus fruste : un chantier nocturne genevois et la vie solitaire d'un ouvrier, dans À côté ; le labyrinthe à ciel ouvert d'un bidonville dans Nuvem, le poisson lune, que nous avons découvert au récent festival de Locarno après la Quinzaine des réalisateurs de Cannes.
«Une réalité incroyable», souligne Basil à propos du bidonville lisboète, où il s'est plié à tout un système de règles subtiles pour y être admis. Or, videur de boîte de nuit lausannoise à ses heures, le jeune homme affirme qu'il a découvert en ces lieux « un savoir-vivre incroyable », malgré les faits et gestes nocturnes de ses « amis » trafiquants ou tueurs...
On comprend vite, à parler avec ce fils d'immigré né en 1985 à Morges, qu'il a trouvé ladite école dans la vie. Certes il a passé par la section cinéma de l'Ecole d'art et de design de Genève, où il reconnaît que des « intervenants », tel le réalisateur catalan Albert Serra, lui ont beaucoup apporté ; et l'admiration, ou le contact personnel, qui le relient à deux figures reconnues du cinéma portugais actuel, Pedro Costa et Miguel Gomes, comptent aussi dans sa propre orientation et dans sa jeune expérience, à laquelle il associe fraternellement son ami Julien Rouyet, qu'il taxe de « Bresson protestant », avec lequel il collabore dans sa petite « boîte de prod » de Thera et dont il attend beaucoup du prochain « long ».
Mais sa plus grande reconnaissance, question formation, va d'abord à ses parents, séparés l'un de l'autre mais auxquels on le sent fortement attaché : Irène l'artiste peintre, sa complice et soutien de ses tout premiers « courts » d'adolescent ; et Antonio Da Cunha, opposant au salazarisme tôt exilé en Suisse, connu sur la place au titre de directeur de l'Institut de géographie à l'Université de Lausanne ; Et Basil de citer, aussi, côté Portugal, la flopée de cousins qu'il aime à retrouver dans son pays d'origine.
Si nous avons parlé de « grâce » à propos de Basil Da Cunha, c'est d'abord et avant tout par ce qui le distingue de tant de jeunes cinéastes actuels sortis des écoles, justement, qui se cantonnent dans les exercices de style et les prises de tête. Par delà la technique, ce fan de Fellini et de Kurosawa, entre autres, pense et ressent en poète de cinéma. Rêveur éveillé aux yeux ouverts sur le monde et la vie des gens, l'air un peu chenapan, peu porté sur les clans et les cliques mais plein d'amitié et d'amour - surtout impatient de déployer son (grand) talent...
Basil Da Cunha est né à Morges le 19 juillet 1985.Il réalise 3 court-métrages auto-produits, puis devient membre de l'association Thera Production qui produit
La Loi du Talion en 2008.
Depuis 2008, il suit une formation en cinéma à l'Ecole d'art et de design de Genève au sein de laquelle il réalise
A Côté, qui gagne le prix du meilleur court métrage portugais à Vila Do Conde en 2010.
Il vit entre Lausanne et Lisbonne, où il réalise Nuvem (Le Poisson Lune), qui est projeté en 2011 à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes.