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Antoine (post-Atarɐxe)

Publié le 04 septembre 2011 par Banalalban

Antoine, tu l’aimes.

Je ne sais pas ce que tu en penses.

Mais Antoine, tu l’aimes.

C’est comme une sorte de départ froid.

Irrationnel

Immatériel.

Antoine tu l’aimes.

Mais que fais-tu de François ?

Alors oui, je te le demande.

Ah mais…

Ce n’est pas du tout un départ froid.

Ce n’est pas du tout irrationnel.

Tu sais très bien ce que tu fais.

Tu le sais bien et ça depuis le début.

Laisse François où il est :

Il y est très bien.

Tu m’énerves.

Lorsque la nuit tombe sur la ville, il me plait de croire, passive et lasse, que c’est la vie elle-même qui dans un ultime sursaut s’éveille, saugrenue, étoile après étoile comme des kystes et alors je me sens l’âme épaisse de l’herpétique poétesse, une poétesse dont le souvenir aurait été circonscrit puis effacé par des siècles et de siècles d’un obscurantisme intellectuel et de traditions patriarcales hétérosexuelles très prévisibles. La poétesse fut en effet ostracisée en 48 du fait des déboires de sa peau alors que tout le monde appréciait pourtant avant très gentiment de la voir déambuler dans les rues bien bondées, les rebords de la piscine municipale de Bondy (avec les petits carreaux tranchants en faïence blancs et bleus en damier tout ça en un sur deux quand les verrues), le long des trottoirs très étroits qui passent sous des ponts sur lesquels passent des trains chargés de voyageurs insouciants au-dessus desquels passent des avions désespérément vides aux trainées laiteuses, les allées de supermarchés très fréquentés où les enfants détalent tels des lapins sans terriers dans les étals ou bien coincés, les pieds qui dépassent et jouent au pendule, dans les sièges amovibles rouges des charriots en métal poussés par des femmes épaisses,  adipeuses et pourtant mères encore pour des dizaines d’années bien fécondes. La poétesse ainsi donc fut mise au ban de la société parce qu’elle se vernissait les ongles des doigts de pieds et qu’elle déambulait en sandales provoquant le scandale et puis sa maladie de peau surtout qui la faisait tant souffrir et pleurer et se mal-aimer et les jeunes agrandis qui la montraient du doigt et lui jetaient des pierres rêches recouvertes de lichen tout en l’affublant de noms abracadabrants et insultants (du coin des lèvres et sur tout le corps, mûrir), ou qui l’acculaient contre un mur pour mieux la frapper, la mettre à terre, l’humilier dans la confusion et le crissant de la boue dans la bouche, lui roulant dessus avec leur très petits vélos et les roues supplémentaires, incrémentées et tout à côté pour la décorsetée imbancalité. Puis c’étaient les parents qui en parlaient au printemps et l’enjoignaient de ne plus se montrer pour raison de décence, de sécurité et de dignité. Et le curé qui psalmodiait et homéliait sur la différence et les limites que l’on en fait en enfer pour un peu de paradis : un triste bout de zan.

Alors l’herpétique poétesse lentement s’est relevée, a dit « il s’agit d’un départ froid » et est partie pour Rome, passant de l’herpétique poétesse à l’hermétique romipète. Et devant la porte de l’église, la veille de la Saint Marc, elle a regardé les spectres de ceux qui allaient trépasser dans l’année passer devant elle un à un, vaporeux, et cela sans se voir. Et c’est ainsi qu’elle comprit, dans l’absence de son spectre-même et perdue contre son terrible reflet dans le retable ouvragé, que son long bien long chemin de croix n’en finirait jamais.

Tiens je vais manger des canneberges.

Parce que bien évidemment pour toi, tout cela est très facile, il te suffit d’imposer, d’imposer encore, tu n’as pas de limites, on ne t’en a jamais fixées alors tu n’en as pas, tu fais ça : tu imposes. Quand bien même tu aurais eu une véritable famille tu n’en aurais pas eu. De limites.

Tu aurais pu te contenter d’avoir un rôle normal. Un rôle de gentille. Un rôle de mignonne et de pas vilaine.

Mais non.

Mais non.

Ça aurait été trop facile pour tout le monde !

Ça aurait été trop simple !

Pas assez fantasque : fanfaronne !

Mais c’est infernal ce que tu fais, et tu le sais.

C’est infernal.

C’est infernal.

Tu t’octroies un droit qu’en fait tu n’as pas, tu t’es investi d’une drôle de mission alors qu’on ne t’a jamais rien demandé.

C’est comme quand j’allais à la piscine et qu’une grande que je ne connaissais pas tenait tellement à m’apprendre à nager alors que je ne le souhaitais pas, quitte à me noyer presque totalement avec sa gaffe idiote et blanche un peu rouillée. Et je criais, je criais, et elle d’hurler : « Bats des pieds, bats des pieds ! ».

C’est comme lors de mon voyage à Lourdes durant lequel une bonne sœur tenait tant à me donner une version miniature et plastique de la Sainte Vierge sous  prétexte que l’on ne pouvait pas ne pas partir d’ici sans cette réplique-là (et puis y mettre de l’eau bénite par un orifice astucieusement placé au niveau de la couronne mais que j’oubliais de reboucher).

Tu m’obliges à faire des choses.

Tu m’obliges à voir des choses.

Dégoûtantes.

Des cloques.

Des cloaques.

Des catafalques.

C’est si pénible et ça déborde.

Ça ne semble jamais finir.

Ça fait comme des lambeaux sales qui m’entravent, m’entrouvrent le cœur et m’ensache.

Si tu savais à quel point parfois je te hais.

Mon autoscope…

Si tu savais à quel point je te hais et à quel point je voudrais tant te fuir, t’abolir : effacer les contours.

Traverser l’ensemble de l’Europe et m’arrêter en Pologne, y trouver des points de fuite pertinents en forme de frontons de mer d’huile.

Et puis descendre à Venise, effectuer douze fois le tour complet de la place Saint-Marc jusqu’à en faire vomir les pigeons pour autre chose que cette espèce d’impression de paradigmes.

Alors tu peux bien me regarder en me disant : « il s’agit d’un départ froid » ou bien encore seriner à qui veut l’entendre que j’ai un sens cochon des choses : je ne veux plus t’écouter.

Tu m’encombres.

Tu m’ennuies.

Remballe ton François.

Remballe ton français et ton sens accru de la rhétorique.

Je ne sais pas quoi en faire.

Ils ne servent plus à rien.

Ils ne me font plus rien.

Ils ne font même plus jolis du tout.

Et puis arrête de me regarder comme cela.

 

 

 

 

 

 

 

Donne-moi ces canneberges.  

Tu m’en veux ?

Un peu…

 

Je fais ça pour toi.

 

Va au Diable.

Lui seul te comprend.

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