Le 5 septembre 1774 naît à Greifswald, en Poméranie, Caspar David Friedrich.
« Visionnaire du paysage », inspiré par la méditation que provoque en lui la contemplation de la nature, Caspar David Friedrich est considéré comme éminemment romantique. Capable de capter les forces secrètes du cosmos, l’« œil spirituel » de Friedrich permet à l’artiste de transposer sur la toile l’âme du monde. Son souffle intime.
Caspar David Friedrich (1774 - 1840)
Der Mönch am Meer, 1808-1810
Huile sur toile, 173 x 110 cm
Berlin, Alte Nationalgalerie, Galerie der Romantik
MOINE AU BORD DE LA MER
Ainsi la toile Moine au bord de la mer (Der Mönch am Meer). Exposée pour la première fois en 1810 à l’Académie de Berlin, cette toile déconcerte le public et l’immerge dans un profond désarroi. « Mais il n’y a rien à voir », se lamente Marie-Hélène Von Kügelgen devant l’immense vide du Moine au bord de la mer (1808-1810). Et l’épouse du peintre Gerhard Von Kügelgen, ami de Friedrich, de commenter ainsi son premier contact avec cette toile de presque deux mètres :
« Je vis un grand tableau à l’huile qui me laissa indifférente. Un grand espace d’air infini. Au-dessous, la mer agitée et au premier plan une bande de sable clair où rôde un ermite vêtu ou enveloppé de sombre. Le ciel est clair et d'une tranquille indifférence ; ni tempête, ni soleil, ni lune, ni orage... Oui, vraiment, un orage aurait été pour moi une consolation et une satisfaction, on verrait alors un peu de vie et de mouvement quelque part. Sur l’éternelle platitude de la mer, on ne voit ni bateau ni navire, pas même un monstre marin et, dans le sable, ne passe pas la moindre brindille d’herbe. Seuls quelques goélands voltigent à l'entour et rendent la solitude encore plus solitaire et horrifiante. »*
Un tableau subversif que celui qui est donné à voir puisqu’il ne s’y passe rien, rien qui relève de la narration ou de l’événementiel ! Une peinture sans sujet. Une toile hors de l’Histoire. Une toile inclassable qui n’appartient pas vraiment au genre de la « marine » ni à celui des « vedute » pittoresques à la mode, qui théâtralisent le monde. Une toile hors temps qui place le spectateur face à l’infini et face à lui-même. Convié – au même titre que le moine sans visage qui lui tourne le dos – à ce face-à-face insoutenable, le spectateur, campé dans la contemplation du gouffre qu’il se refuse de voir, s’insurge.
Seul Heinrich von Kleist, « pour qui l’expérience du regard est dans la fusion », dira dans le Berliner Abendblätter la force innovante de ce tableau :
« Il est délicieux, dans une infinie solitude au bord de la mer, sous un ciel brouillé, de porter son regard sur un désert d’eau sans limites. Encore faut-il être allé là-bas, et en être revenu, alors que l’on voudrait passer de l’autre côté et qu’on ne le peut pas, que l’on est dépourvu de tout pour vivre et que l’on perçoit néanmoins la voix de cette vie dans le grondement des flots, le souffle de l’air, le passage des nuages, le cri solitaire des oiseaux. Mais il faut pour cela une exigence du cœur, et cette déchirure, au plus profond de soi, que provoque la nature... Oui, si l’on peignait ce paysage avec sa propre craie, avec sa propre eau, on pourrait, je crois, par là, pousser les renards et les loups à hurler. »
NOTE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
Né à Greifswald, en Poméranie, le 5 septembre 1774, Caspar David Friedrich est le fils d’un fabricant de savons et de chandelles. Marqué très tôt par les tragédies et les deuils familiaux, le jeune homme s’inscrit à l’Académie des beaux-arts de Copenhague dès 1794. Puis il s’installe à Dresde en 1798. Là, il fréquente artistes, écrivains et poètes. Notamment Ludwick Tieck et Philipp Otto Runge. Apprécié comme dessinateur, il l’est moins comme peintre et sa première grande œuvre picturale ― Retable de Tetschen (1807-1808, Staatliche Kunstsammlung) ― est accueillie par une polémique qui a marqué les annales de l’histoire de la peinture, en raison de l’interprétation métaphysique donnée par le peintre à la nature. Une interprétation mystique que l’on retrouve dans les œuvres suivantes où dominent le goût pour la solitude et la contemplation des grands espaces. Moine au bord de la mer (1808-1810, Staatliche Schlösser, Charlottenburg-Berlin), L’Abbaye dans un bois (1809-1810, Staatliche Schlösser, Charlottenburg-Berlin), Un voyageur contemplant une mer de nuages (1818, Kunsthalle, Hambourg) et Les Blanches Falaises de Rüngen (1818, Fondation Oskar Reinhart,Winterthur).
Ses voyages sur la Baltique (1815-1816) permettent au peintre de donner une nouvelle impulsion à son art, comme en témoignent la peinture de paysages polaires ― Le Naufrage (1824, Kunsthalle, Hambourg) ― ou de paysages de haute montagne ― Le Mont Watzmann, (1825, Nationalgalerie, Berlin) ―, tout empreints de mélancolie et de spiritualité.
Protégé par la maison de Prusse, Friedrich connut la notoriété dès 1810. Nommé membre de l’Académie de Dresde en 1816, puis professeur en 1824, Friedrich subit une éclipse, le symbolisme étant devenu caduc. Redécouvert au début du XXe siècle, Caspar David Friedrich est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands peintres paysagistes allemands.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
* G. Dufour-Kowalska, Caspar David Friedrich. Aux sources de l’imaginaire romantique, Lausanne, L’Âge d'homme, 1922, page 108.
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