- Quand tu partiras, tu laisseras la clef à l’intérieur, c’est plus pratique. Bien sûr, tu pourras prendre avec toi le téléphone portable de la maison en cas où tu aurais oublié quelque chose à l’intérieur et, te retrouvant sans clef, tu ne pourrais plus de nouveau rentrer. Alors tu pourras m’appeler et je viendrai. Dans tous les cas, tu laisseras le téléphone dans la boîte aux lettres que tu auras ouverte au préalable, avec les clefs laissées entre-temps à l’intérieur, comme ça il n’y aura pas de problème. Est-ce que tout est bien clair ?
La déraison est une droite parallèle qui ne rencontre jamais sa sœur jumelle qu’est la raison.
Ma mère a toujours été une fieffée ménagère. Dans mon souvenir, je la confonds toujours avec cette pub célèbre des années 80 : Nana Mouskouri prenant son pied de la manière la plus surprenante en s’élançant dans un corps à corps des plus sensuels sur la table du salon. La folie douce de la ménagère dans toute sa splendeur. Depuis, Nana Mouskouri est devenue députée européenne, la Grèce a fait faillite et j’ai confondu la pub avec une autre, non pas pour une cire à nettoyer les meubles mais pour un désodorisant d’intérieur.
Quant à ma mère, cette ancienne fée du logis, les gens disent désormais qu’elle est un peu fada. Fada ? J’ai aussi vérifié le sens, cela veut dire être frappé par les fées. Un joli retour des choses.
Tout a commencé peu après le décès de mon père alors que son urne funéraire gisait encore sur le foyer de la cheminée du salon. Ma mère m’a dit :
- Il y a de la poussière au plafond. Il faut que je fasse quelque chose.
En dépit de l’absurdité de la réplique, j’ai regardé au plafond. Je tenais toujours pour vrai ce que m’affirmait ma mère. J’ai donc répondu pour la rassurer :
- Non, Maman, tu te trompes, il n’y a pas d’araignée.
- Je ne te parle pas d’araignée, je te parle de poussière.
- Oui, tu as raison, c’est peut-être un peu défraîchi. Il faudrait peut-être passer un coup de peinture.
- Je ne te parle pas de bricolage, je te parle de ménage.
En l’occurrence, c’était son territoire, je me suis tu. On ne rentre pas dans la chasse gardée de sa mère ainsi. Deux jours plus tard, je lui rendais visite à l’hôpital, première chute et rupture du coccyx. Avant d’entrer dans sa chambre, le médecin me prit à part :
- Votre mère a-t-elle déjà eu des troubles d’équilibre par le passé ?
- Non, jamais, elle est en bonne santé, peut-être un peu diminuée depuis la mort de Papa…Vous savez comment elle est tombée ?
- Apparemment elle nettoyait son plafond, montée en califourchon sur une chaise hissée sur la table du salon. Vous comprendrez bien, nous attendons aussi les tests neurologiques. Un traitement est peut-être possible vous savez…
J’ai haussé les épaules et suis rentré pour embrasser ma mère. La médecine n’a jamais soigné les fées.