C’est la faute aux riches!

Publié le 22 février 2008 par Steveproulx

Quoi? C’est parce que les riches sont de plus en plus riches que la terre souffre autant? C’est du moins la thèse que défend le journaliste français Hervé Kempf dans son dernier livre Comment les riches détruisent la planète. Couvrant les enjeux environnementaux depuis près de 20 ans, notamment au journal Le Monde, Hervé Kempf brosse un portrait lucide de la crise écologique actuelle, et propose une solution pour s’en sortir : « abaisser » les riches. Entretien.

M. Kempf, selon vous la solution aux problèmes environnementaux passe d’abord par la réduction de l’écart entre les riches et les pauvres... Pourquoi?
La classe fortunée est à la fois plus riche que jamais, mais aussi irresponsable : elle surconsomme et ne se préoccupe pas vraiment de la situation. Or, tout groupe social tend à imiter les mœurs du groupe situé au-dessus de lui dans l’échelle sociale.

Donc, d’un point de vue environnemental, la classe riche ne serait pas un très bon modèle à suivre...
Non. En définissant la surconsommation et la dilapidation comme la norme, la classe riche présente un modèle culturel destructeur que toute la société cherche à imiter. Réduire les inégalités entre les classes sociales, c’est permettre de changer le modèle culturel dominant et rendre possible d’accepter une réduction de la consommation matérielle au profit d’activités sociales plus utiles et non destructrices de l’environnement.

En somme, il faudrait que les riches soient moins riches...
C'est une nécessité. Tout le monde est capable de comprendre qu'il est non seulement anormal, mais explosif pour la stabilité sociale que les 500 personnes les plus riches du monde disposent d’autant de revenu que les 416 millions les plus pauvres.* Cela ne signifie pas que le dégonflement de la couche des « hyper-riches » sera facile, mais c'est une perspective politique importante.

Mais concrètement, comment peut-on « abaisser » les riches?
Nos gouvernements devraient instaurer ou restaurer des taxations progressives des revenus, relancer la chasse aux paradis fiscaux et réfléchir à l'idée d'un revenu maximal admissible. En même temps, il faut insister que si l'on fait cela, c'est à la fois pour restaurer la justice sociale, et pour dégager des ressources permettant de mener des politiques écologiques et des politiques sociales utiles à tous.

Qu’entendez-vous par « revenu maximal admissible »?
Il s’agirait de dire qu’au-delà d’un certain montant de revenu, l’argent doit être reversé à la collectivité. Cette mesure aurait l’avantage de montrer qu’au-delà d’un seuil à déterminer, la consommation matérielle doit être stoppée par respect pour la biosphère...

N’est-ce pas là un projet utopiste?
Au contraire, il est très réaliste. Déjà, l’idée du revenu maximal admissible a été réintroduite dans le débat. Par ailleurs, cette évolution sera acceptée par la société si l'on montre que des améliorations pourront ainsi être faites en matière d'éducation, de santé, de culture, de transports collectifs. Un état d'esprit inspiré par la recherche de la simplicité, de la modération, de la sobriété aidera à cette évolution -à condition qu'il s'accompagne de la gaieté et de la joie.

Comment les riches ont-ils reçu votre livre?
Il n'y a pas eu de critiques négatives. Mais la presse de droite et la presse économique font le silence sur ce livre, sans doute parce qu'il les dérange. J’ai l’impression que les journalistes de presse de droite et les économistes n’arrivent pas à critiquer ma thèse, ou alors ils n’ont pas lu mon livre. C’est un symptôme de plus de la maladie de notre démocratie : les pouvoirs préfèrent tenter de passer sous silence les voix discordantes que les discuter.

Malgré tout, avez-vous l’impression que les mentalités –des riches notamment- évoluent?
Non, ou pas suffisamment. Les élites commencent certes à comprendre la gravité de la crise écologique. Mais ils ne prennent pas conscience de la crise sociale, et sont loin d’être prêts à changer structurellement le fonctionnement de nos sociétés capitalistes.

Dans votre livre, vous indiquez que si les pays riches sont en grande partie responsables des problèmes environnementaux, ce sont majoritairement les populations pauvres qui en subissent les conséquences...
Oui. C’est ce que j’appelle la « pauvreté écologique ». La pauvreté ne se traduit pas seulement par un faible niveau de revenu, mais aussi par des conditions environnementales d'existence dégradées : ce sont d'abord les pauvres qui vivent à côté des zones industrielles, le long des autoroutes, qui subissent le plus les pollutions de l'eau. Ce sont eux dont l'environnement paysager et végétal est le plus médiocre.

Que pensez-vous de la vague de produits dits « verts » qui envahissent le marché?
Ce n’est qu’un petit bout de la solution. Une voiture hybride est préférable à une voiture à essence, mais elle consomme toujours du pétrole, représente près d’une tonne de matériaux extraits de l’environnement, stimule la croissance des infrastructures de transport et l’étalement urbain. C’est une amélioration, pas une solution. La gravité de la crise écologique appelle des politiques plus ambitieuses que ce « raccommodage » par le marché.

Ironiquement, ce sont encore les personnes mieux nanties qui peuvent, aujourd’hui, consommer de façon plus responsable...
C’est une ambiguïté fondamentale des produits dits « verts »... Ils sont souvent plus coûteux que les autres et seules les classes les plus aisées peuvent se les procurer. La précarité dans laquelle vit une grande partie de la population des pays riches la pousse –et c’est légitime– à acheter les produits les moins « écologiques » parce qu’ils sont moins coûteux. Si les apôtres du marché étaient conséquents dans leur souci environnemental, ils prôneraient aussi la redistribution des richesses.

*Selon le Programme des Nations Unies pour le développement.