« On n’a pas tous les jours vingt ans, ça n’arrive qu’une fois seulement… »
Quand elle était enfant, Lola se trompait souvent dans les paroles de la chanson et, très sérieusement s’exclamait : « On n’a pas tous les jours vingt ans, ça n’arrive qu’une fois par an… ». Ses parents riaient de son lapsus, ce qu’elle n’admettait pas et l’enfant se jurait alors que lorsqu’elle atteindrait cet âge fatidique, ils verraient ce qu’ils verraient !
C’était devenu son but, son objectif et sa ligne d’arrivée, comme si, parvenue à vingt ans elle découvrirait alors un monde inconnu que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.
Car à force de les chanter, de les poétiser, de les idolâtrer, ils devaient assurément avoir quelque chose d’extraordinaire ces vingt ans-là…
Dès lors, elle avait développé une passion frisant l’obsession pour tout ce qui touchait au nombre fétiche. Et lorsque quelqu’un lâchait un désespéré « Je n’ai plus vingt ans », elle plongeait dans une grande perplexité. Pour elle, atteindre cet âge divin signifiait l’aboutissement de la quête du Graal, où la chrysalide se transforme en ce beau papillon pour qui rien n’était impossible.
Elle s’imaginait, dans la nuit des ses vingt années, s’extraire du cocon étouffant de l’enfance, déployer un corps svelte aux longs membres graciles et offrir au monde un visage pur et lisse dénué de la plus petite trace pouponne.
C’est dans cette attente qu’elle atteignit l’adolescence, convaincue qu’outre la splendeur, ses vingt printemps lui apporteraient la clé des champs. N’était-ce pas à l’aube de leurs vingt ans que les plus Grandes avaient vu leur destin basculer ?
Le sien, elle en était sûre, ce n’était pas sur les bancs du lycée qu’il la guettait, pas plus que dans le regard énamouré de son camarade de classe ou encore dans le discours moralisateur des ses paternels.
Son destin à elle se cachait dans un endroit bien plus inattendu, encore inconnu, ou bien au contraire si familier qu’elle n’y songeait même pas !
A 18 ans, Lola passa son bac, y fut reçue sans faire de vagues.
Elle goûtait avec délice à un avant-goût de liberté, appréciant par anticipation la délivrance tant attendue dont elle entendait le chant enivrant.
Alors, un monde nouveau s’ouvrit à elle, elle s’émerveilla de tant de découvertes jusqu’ici insoupçonnables et se laissa conduire vers cet inconnu que les à peine plus de vingt ans s’offrirent de la guider…
Elle s’enivra de nouveaux plaisirs, goûta aux fruits défendus, se piqua de lubies venimeuses, empoisonna son corps et son esprit de substances traîtresses. Peu à peu, la perspective de ses vingt lumineux se perdit dans les brumes obscures de sa jeunesse saccagée.
Elle sombra dans une nuit sans fin, sans réveil.
Léa n’avait pas encore vingt ans.
Les avoir ne lui importait plus.