J'ai appris la mauvaise nouvelle avant de partir en vacances, par un mail de mon amie américaine : Uncle Pickie est décédé. Je sais, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas de lui rendre ici hommage. J'ai bien peu connu ce monsieur , qui était l'oncle de mon amie, mais son souvenir m'a toujours accompagné... à cause de son automobile. C'était en 2005, je crois. Nous étions, mon amie américaine et moi, à La Nouvelle Orléans - et je vous parle d'un temps où Katrina n'était même pas née - pour une semaine et nous avions un peu de temps libre. Mon amie a alors décidé d'emprunter la voiture d'Uncle Pickie pour que nous puissions nous promener, en compagnie d'une autre copine, dans les grandes plantations de la région, ou du moins ce qu'il en reste. Chose dite, chose faite. Nous sommes allées chez Uncle Pickie qui, devant la Française à l'anglais hésitant que j'étais, n'a pas osé refuser. Je me souviendrai toujours de cette automobile. Elle était d'un brun incertain. A l'intérieur, c'était tellement moelleux et confortable que j'en était tout bonne fascinée. Rien à voir avec nos tape-fesses européens. On s'enfonçait dans les banquettes de cuir, plus moelleuses qu'un fauteuil club. Le tout avait un petit parfum des années 1950, c'était formidable. De quoi se projeter directement dans "Un tramway nommé Désir", ce que nous n'avions pas manqué de faire, d'ailleurs, sauf que le quartier de Desire, à La Nouvelle Orléans, ne ressemble plus du tout à celui où évoluait Marlon Brando dans le film d'Elia Kazan.
Nous sommes donc allées, dans cette berline toute plate si typique des années 1950 d'Uncle Pickie, dans les grandes plantations qui virent, en d'autre temps, tant d'esclaves noirs souffrir et mourir. Non, je ne porte pas "le fardeau de l'homme blanc", mais il n'empêche que cette partie de l'histoire de l'humanité me bouleverse. J'ai suivi les allées taillées au cordeau, avec ces arbres multiséculaires qui ont vu toute cette histoire terrible, aux branches desquels s'accrochent de drôles de lianes qui sont comme des moisissures, d'étranges champignons aériens. Ca sent l'humidité et la chaleur. Les grandes maisons de maîtres, comme les quartiers d'esclaves, ont été restaurés et préservés par les Américains d'aujourd'hui. C'est leur patrimoine.
Un peu plus tard, mon amie m'a emmené avec elle dans sa famille, dans une très jolie maison, également avec un quartier d'esclaves, mais plus petite qu'une maison de plantation et située en ville. La maîtresse de maison, Hilda, allait marier sa fille et confectionnait de petits sachets pour donner en cadeau aux invités. Plutôt que de rester les mains sur les genoux, j'ai offert mon aide. Je me souviens comme l'ambiance était chaleureuse. Hilda hésitait à me faire "travailler", mais moi je n'envisageait pas de rester sans rien faire. Ce que j'ai expliqué dans mon anglais toujours approximatif.
Je garde un impérissable souvenir de ces quelques jours, de Hilda et ses cadeaux de mariage et d'Uncle Pickie, dont j'ai pris des nouvelles régulièrement jusqu'à sa disparition. Je suis sûre que là où il est désormais, il conduit à nouveau une voiture des années 1950, plate et confortable, et qu'il sourit à ces quelques lignes...