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3.

Publié le 20 septembre 2011 par Sophielucide

3.

Un trimestre a passé depuis son anniversaire et sa mère est partie, comme elle l’avait prédit, précédée de son gros ventre. La veille de l’accouchement, les quatre enfants se sont rassemblés dans la chambre des filles et c’est Camille, l’aînée de la fratrie qui mène le débat. Heureusement que la petite fille a cette sœur en appui, qui palie les défaillances maternelles. Elle lui apprend tout ce qu’elle sait. Dans ce flot ininterrompu d’informations, elle ne saisit pas toujours tout mais il est rassurant d’avoir à ses côtés cette sœur qui sait tellement de choses, qui s’adresse à elle comme à son égale, comme si elle était en mesure d’appréhender les données contradictoires de la mémoire familiale.

La cadette ose alors raconter la rencontre inédite dans la ville. A sa grande stupeur, elle apprend que son scoop tombe à plat, que tout le monde connaissait l’existence du trio précédent. C’est un secret éventé, divulgué sous le sceau de la confidence intime, une sorte de cadeau empoisonné nommé exclusivité. Et c’est bien pour cette raison qu’il est urgent de sceller un pacte de vérité entre les enfants de la deuxième fournée. Agenouillés, ils se jurent fidélité en juxtaposant leurs petites mains sur le couvre-lit.

Le deuxième point est alors abordé. Leur mère a tellement insisté sur la dangerosité de mettre au monde un enfant à son âge avancé qu’ils ne peuvent ignorer le risque encouru. Dans l’éventualité d’un choix à opérer, sur lequel, de l’enfant ou la mère, porter le sien ? C’est un cas de conscience qui dure tout le temps du long conciliabule. Le bébé est innocent mais c’est un inconnu, on conservera donc la mère, qui offre l’avantage d’être là malgré tout. Même si elle ne ressemble en rien aux autres mamans câlines et bienfaisantes, ils n’en ont aucune autre en réserve. La séance est levée et pour la première fois, la fratrie va se diviser, le temps de l’absence maternelle. Combien de temps durera-t-elle ? Et si c’était un piège tendu par la mère qui aurait feint une grossesse pour s’échapper une fois encore ? La petite fille garde pour elle cette peur bien trop proche de la paranoïa dont sa mère accuse régulièrement son père…

Le soir venu, elle se laisse aller à l’immense chagrin de la perte. L’intuition que plus rien ne sera comme avant, que ce cinquième élément va bouleverser les habitudes de leur quatuor équilibré, que leur mère, déjà lasse, ne saura faire face à ce surcroît de tâche, pèse sur le corps malingre de la petite fille. Les larmes la transportent vers cette confortable douleur du désir qui l’obsède : devenir orpheline.

La petite fille se love avec délice dans les méandres interdits de pensées proscrites. Cet univers dont personne ne doute l’existence et ce vertige immense que provoque physiquement son besoin de s’extirper de cet ordinaire pesant.

Sa légèreté, cette formidable sensation de liberté, elle ne la retrouve qu’une fois la porte de la maison claquée : d’abord sur le chemin de l’école, lorsqu’elle se passe en tête, ou même à tue-tête, les leçons de la veille, et puis dans la classe où l’odeur, où la lumière, où le regard bienveillant du maître la portent vers la connaissance. Tout ce qui lui reste à apprendre ! Tout ce qu’elle a envie de savoir !

A son retour le soir, elle aurait presque oublié le chaos abandonné plus tôt si la voix de son père ne faisait trembler la rampe de l’escalier. Son sourire s’évapore et son esprit se blinde à l’image du visage fermé de sa mère qui ne laisse échapper que quelques furtives larmes que son père fustige :

«   ‘ est ça !joue ta martyre ! »


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