GUITARE OU LUNE
(Vicente Aleixandre)
Guitare comme lune
Est-ce la lune ou son sang ?
C'est un coeur minuscule qui s'est échappé
Et qui sur les bois passe, laissant sa musique bleue et insomniaque.
Une voix ou son sang
Une passion ou son horreur,
Un poisson ou une lune sèche
qui frétille dans la nuit, éclaboussant les vallées.
Main profonde, en colère menacée,
la lune est-elle rouge ou jaune ?
Non, ce n'est pas un oeil injecté de fureur
à pressentir les limites de la terre, petite.
Main qui dans les cieux cherche la vie même,
Cherche le pouls d'un ciel qui perd son sang,
Cherche dans les entrailles, parmi les vieilles planètes
charmées par la guitare qui s'allume dans la nuit.
Peine, peine d'un coeur que personne ne définit
quand les fauves sentent leurs poils hérissés
Quand ils se sentent trempés dans la lumière froide
qui cherche leur peau comme une main chimérique.
Ecoutons pour finir la voix de Federico Garcia Lorca. La guitare, souvent présente dans son oeuvre, y devient progressivement métaphore, archétype et symbole :
La guitare
Commencent les pleurs
de la guitare.
Se brisent les coupes de l'aube.
Commencent les pleurs
de la guitare.
Il est inutile
de la faire taire.
Il est impossible
de la faire taire.
Elle pleure monotone,
Comme pleure l'eau
Comme pleure le vent
sur la névée.
Elle pleure pour des choses
lointaines.
Sable du Sud chaud
qui demande des camélias blancs.
Elle pleure, flèche sans cible,
le soir sans matin
et le premier oiseau mort
sur la branche.
Oh, guitare !
coeur blessé à mort,
par cinq épées.
Les six cordes
La guitare
fait pleurer les rêves
le sanglot des âmes
perdues
s'échappe par sa bouche
ronde
Et comme la tarentule,
elle tisse une grande étoile,
pour chasser les soupirs
qui flottent dans sa noire
citerne de bois.
(à suivre)