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Son père a raison : il s’agit bien d’un jeu. Un jeu étrange d’où sont exclus les enfants, un jeu qui ne se joue qu’à deux, entre un papa et une maman. Un jeu bruyant quelque peu effrayant. Pas le même que celui du dimanche, à l’heure de la messe. Elle a compris cela aussi depuis qu’elle est grande : ses parents raffolent de deux jeux, celui qui les donne en spectacle, le soir, et qui fait fuir les enfants et puis un autre, un peu plus mystérieux, auquel ils n’assistent pas. Celui du dimanche matin.  Les enfants revêtent leurs beaux habits et partent deux par deux, main dans la main à l’église. Un matin, elle leur a demandé, tandis qu’ils les admiraient, pourquoi ils ne les accompagnaient jamais. Ils ont répondu par un rire gêné  et c’est sa sœur qui lui a expliqué qu’ils retournaient au lit pendant leur absence. C’est comme une communion en quelque sorte.

Depuis qu’elle a grandi, elle a certes compris qu’il ne fallait pas se fier aux apparences trompeuses mais elle tremble plus qu’à son tour chaque fois que la voix tonitruante de son père retentit. Il est loin d’être méchant mais très impressionnant tout de même. Lorsque les enfants se chamaillent, la mère prévient : « si votre père se lève, ça va barder » et c’est exactement ce qu’ils attendent. Disons que ça détourne un moment les parents  de leur obsession d’avoir toujours raison. Alors le père arrive, pose son index sur la bouche tout en faisant les yeux ronds. Il doit donner le change à la mère. Il fait semblant de les battre en faisant claquer ses grandes mains l’une contre l’autre et les enfants adorent cette comédie-là. «  Aïe, aïe » sortent-ils dans un fou-rire qui s’étrangle.

Mais la petite fille déteste quand son père dérape et insulte sa mère qui ne fait que pleurer. Elle se demande pourquoi les mêmes mots provoquent les mêmes scènes, pourquoi l’argent semble le seul sujet de leurs conversations. Le père ne fait que travailler. Il donne toute sa paie chaque samedi à la mère, qui compte en maugréant les billets. Elle répète souvent qu’il n’aurait jamais dû quitter l’armée, qu’ils pourraient maintenant toucher une retraite et cela la petite fille ne le comprend pas. La retraite c’est pour les vieux et son père n’a que 35 ans !

Lorsque les enfants rentrent de la messe, leur mère est enfermée dans la salle de bain. C’est son jour de repos. Elle se fait belle, leur dit leur père. Le dimanche est le jour du père, une fête qui dure toute la journée, où il se repaît d’eux par les rires qu’il déclenche. L’après-midi, il leur confectionnera des beignets aux pommes après leur balade à vélo. S’il pleut, ils joueront à la maison, ou ils liront, tous ensemble, dans le salon, la petite fille  assise sur un pouf, aux pieds de son père. De temps en temps, il passera une main dans ses cheveux ou se mettra à la chatouiller. Il compense, sans le savoir, l’indifférence dont sa mère fait montre. Ou bien le sait-il ? le sent-il ?

Les dimanches sont toujours bien trop courts. Et quand arrive la nuit, les enfants se demandent si la perfection vécue durant la journée, pourrait une seule fois se prolonger le soir. Mais cela ne se peut. La mère trouvera toujours quelque chose à redire, un reproche à sortir, « tu les gâtes trop » ou n’importe quoi d’autre qui fera bondir le père et tout devient gâché. Les enfants se retranchent dans leur chambre, le show va commencer, allez hop, circulez ! l’heure du mélodrame a sonné, sortez vos mouchoirs, tremblez dans votre chemise de nuit et plaquez bien votre oreiller sur votre tête, pour ne plus rien entendre des cris paternels une fois que la mère l’aura bien échauffé :

« - calme-toi, Jean-Claude, ne crie pas !!!

- Je ne crie pas, je parle fort !

- pense aux voisins

- Je paie mon loyer et les voisins, je les emmerde ! On est en République, ici, pas dans ton Reich…. »

C’est parti….