Le test du miroir

- Rien ne va plus depuis hier.

- Mmmh, mmh…

- En fait, depuis que Sonia s’est mise à sortir des perles à la place des mots, je vois tous mes interlocuteurs cracher du brouillard, des fleurs et parfois pire, en accompagnement de leurs billevesées. Et je ne vous raconte pas de salades!

Mon psy m’interrompt d’un grand oui comme pour me signaler que j’ai pris la direction. D’habitude, je mendie ces approbations comme un fayot ses bons points. Aujourd’hui, non…je m’aperçois avec horreur qu’il est aussi atteint du même mal. Quand il me parle, des polaroïds sortent de sa bouche.

-   Ok, c’est bon, je l’accepte. Je ne cherche même pas à savoir si c’est réel ou non, si c’est moi ou la réalité qui délire.

Je me tais, la gorge nouée. Plus rien ne sort.

- Continuez, Augustin, c’est bien.

-  Là, par exemple, vous venez de me parler et que vois-je ? Vous venez de sortir ma photo de ma bouche. Littéralement, vous avez craché mon portrait. Et ça me confirme à quel point je ne vaux rien. Ce n’est pas mon image que vous me renvoyez qui me dégoûte. Après tout, ce que vous sortez en objets est cohérent avec vos propos. Qu’est-ce qu’on peut attendre un psy ? Des négatifs, des savons glissants ou de la barbe à papa collante. Mais, moi…

- Oui, vous ?

- J’ai fait le test du miroir. Ca me rend fou. Quand je me regarde, quand je me parle, rien ne sort de ma bouche. De l’air, du vide ! et si ma théorie se confirme, -vous êtes ce qui sort de votre bouche-, je ne suis qu’un grand espace désert. Bonjour, c’est moi, vacuité ! Vous me comprenez ? Non, bien sûr, vous allez me trouver parano ou me coller n’importe quelle étiquette de votre jargon pour qualifier mon délire. En fait, dans tout ça, c’est peut-être moi le problème ?

- Merci Antonin, à la semaine prochaine.

J’ai ramassé les polaroïds échus à ses pieds et je lui ai tendu les billets. Si mes paroles n’avaient pas de consistance, au moins, gardaient-elles une certaine valeur. Et je suis rentré affronter Sonia…