Vendredi 20 mars 1863, 10h40 du soir
Quel fabuleux cadeau ! Le papyrus m’occupa tant et si bien que je ne sortis que le soir, à la seule fin de m’alimenter. En retrouvant Madame Gallerini pour dîner – par bonheur, son oncle dînait avec les frères Bianchi, pour lesquels il s’était découvert de véritables affinités -, je me sentis affreusement coupable de ne pas lui avoir rendu visite plus tôt. Mon indélicatesse me faisait horreur, mais je n’avais aucune excuse à lui présenter, excepté mon incorrigible passion pour l’égyptologie et la culpabilité qui me dévorait jour et nuit.
Je la remerciai à maintes reprises pour le papyrus, n’osant citer le second cadeau. Monsieur Verdret, qui mangeait à une table voisine en compagnie de sa femme, semblait très intéressé par notre conversation, soit qu’elle comblât la vacuité de la leur, soit que la curiosité l’emportât chez lui sur la bienséance. Lorsque nous eûmes terminé le dessert, une délicieuse salade de fruits, je baissai la voix d’un ton. Tous les passagers à l’exception des Verdret ayant quitté les lieux, la salle était devenue subitement silencieuse. Mais Madame Gallerini, enjouée, n’y prit garde et me demanda innocemment si le collier me plaisait. Je rougis violemment. Avait-elle deviné ma véritable nature ? Il m’était impossible de répondre à sa question tant la gêne me paralysait. N’osant croiser le regard de mon voisin, dont je devinais la mine inquisitrice, je bafouillai un oui inaudible. « J’aimerais que vous le portiez », ajouta-t-elle en me dévisageant, « un soir, juste pour moi. Je pourrais vous aider à l’ajuster ». Le capitaine, que je ne bénirais jamais assez, choisit cet instant précis pour annoncer que le soleil s’apprêtait à se coucher, invitant les derniers convives à le rejoindre sur le ponton. Lorsque nous arrivâmes, il était appuyé au bastingage et sifflotait en jouissant de la fraîcheur nocturne. J’attendis que le Nil eût englouti les derniers rayons pour prendre congé et rejoindre ma cabine. La situation se compliquait de jour en jour.
A suivre...